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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/439

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d’Artois dit qu’il avait rendu compte au roi de ce qui s’était passé à la séance, et que sa majesté avait fait observer que, lorsqu’on se permettait des inculpations si graves, il fallait les signer. M. de Nicolaï garda le silence, La Fayette se mit alors en avant, et l’évêque de Langres ne le laissa pas seul. La Fayette fut au bureau une note signée de lui, dans laquelle, revenant sur les faits indiqués par le président de la cour des comptes et citant les noms propres, il demandait qu’il fût fait une enquête sur les marchés par lesquels, sous prétexte d’échanges de domaines, des millions avaient été prodigués aux princes et aux favoris ; cette note se terminait par ces mots courageux : « Les millions qu’on dissipe sont levés par impôt, et l’impôt ne peut être justifié que par le vrai besoin de l’État. Tous les millions abandonnés à la déprédation ou à la cupidité sont le fruit des sueurs, des larmes et peut-être du sang des peuples, et le calcul des malheureux qu’on a faits pour composer des sommes si légèrement prodiguées est bien effrayant pour la justice et la bonté que nous savons être les sentimens naturels de sa majesté. »

M. de Calonne se rendit auprès de Louis XVI et demanda que La Fayette fut enfermé à la Bastille. On s’attendait à une discussion violente entre eux à la séance suivante, et La Fayette rassemblait les preuves de ce qu’il avait avancé, lorsque Calonne quitta le ministère. La querelle fut terminée. L’opinion publique, très en éveil, avait suivi ce débat et pris fait et cause pour La Fayette, tandis que la cour, à l’exception de quelques amis, était irritée de ses audaces.

Lorsque l’archevêque de Toulouse, M. de Brienne, arriva aux affaires, La Fayette s’était ouvert sur un projet d’amener le roi à reconnaître formellement certains principes constitutionnels. Ce projet fut déjoué. Si La Fayette a constamment regardé la liberté comme le premier des biens et une condition nécessaire de la vie et de la société, il a toujours été un homme de légalité[1].

Dans la discussion à laquelle donna lieu l’examen des causes du déficit et des moyens d’y mettre un terme, il examina, avec une hardiesse d’idées qui faisait pressentir son rôle dans la Révolution, les économies possibles. Il signalait en premier lieu la réforme des maisons militaire et domestique du roi, de la reine et de la famille royale, la destruction des capitaineries qui n’étaient pas nécessaires aux plaisirs royaux et qui, dans la seule généralité de Paris, coûtaient environ 10 millions à l’agriculture. Il citait ensuite le personnel luxueux de ces palais où le roi payait, sans en jouir,

  1. Voir Mémoires, t. II, p. 167.