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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars.

Un des plus tristes fléaux du temps, c’est qu’on ne peut pas se résoudre à rester dans la simple vérité et garder dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on dit, le sentiment de la proportion des choses ; c’est l’exagération, le goût des excitations factices et de la mise en scène, la manie de tout grossir, de tout dénaturer, de se répandre en polémiques bruyantes, au risque de compromettre parfois les intérêts les plus sérieux. Par compensation du moins, — si c’est une compensation, — il reste avéré que le fléau ne sévit pas uniquement en France, que notre pays n’est pas le seul où l’on manque de sang-froid et de mesure.

C’est, en vérité, la seule impression qui puisse rester de tous ces incidens, heureusement aujourd’hui presque effacés, du dernier passage de l’impératrice d’Allemagne à Paris. Ce ne serait même pas la peine d’y revenir, si cette petite et importune aventure n’avait remis en pleine lumière deux ou trois faits, signes caractéristiques d’un état moral qui n’est certes pas sans danger. Le premier de ces faits, c’est qu’il peut dépendre de quelques esprits agités et brouillons, de susciter à tout propos, à l’occasion du passage d’une souveraine étrangère, les plus délicates affaires. On s’empare de quelques incidens, après tout insignifians, — même, si l’on veut, de quelque gaucherie ou de quelque fausse démarche, — on s’efforce de remuer quelque fibre généreuse, et l’on crée une apparence d’agitation qui ne sert à rien et ne répond à rien, qui n’est l’expression d’aucun mouvement réel d’opinion et n’est pas cependant sans péril. Le second fait, qui n’est pas moins sensible et moins inquiétant, c’est que le jour où se produit une de ces émotions artificielles, œuvre de quelques agitateurs sans responsabilité, les pouvoirs publics semblent craindre de se compromettre et se taisent, ou ne désavouent que tout bas des manifestations puériles. On n’ose rien dire, on laisse l’opinion sans guide et