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consommée à Clichy même. Mais tout le reste, destiné soit à Paris, soit aux régions au-delà de Paris, devra nécessairement être transbordé à Clichy. On fera à Clichy ce qu’on eût fait à Rouen, et on le fera souvent dans des conditions plus onéreuses. Les prix de la batellerie, en effet, sont faits entre Rouen et le centre même de Paris, Javel, le port Saint-Nicolas, l’île Louviers, Bercy, etc., et de ces divers points, les marchandises, pour se rendre à leur destination définitive, n’ont à supporter qu’un camionnage de peu d’importance. En revanche, les arrivages par navires de mer, une fois à Clichy, devront effectuer par eau, sur rails ou sur essieux, un dernier transport, qui, en raison de l’éloignement, sera souvent fort coûteux, certainement plus coûteux, en tout cas, que le transbordement lui-même.

On affirme, il est vrai, que la création du port de Clichy aura pour conséquence un déplacement du centre de l’activité industrielle et commerciale de Paris. Industriels, négocians, banquiers, tout le monde voudra se rapprocher du port, et Paris, glissant, en quelque sorte, sur ses assises, viendra s’asseoir plus à l’ouest. Ce ne sera, en tout cas, ni l’affaire d’un jour, ni une petite dépense, et il serait bon, dans l’appréciation du projet de Paris port de mer, de tenir compte des dépréciations qui frapperaient, s’il se réalise, la plupart des grandes institutions industrielles et commerciales de la ville.

Enfin, l’argument fondamental est que le transport entre Rouen et Clichy par navire de mer serait plus économique que celui de Rouen à Paris par bateau de rivière. Nous avons déjà fait observer qu’il convenait de tenir compte de la différence des points d’arrivée, qui constitue un avantage sérieux pour le bateau de rivière. Quant au prix du transport en lui-même, nous avons vu aussi que le fret du bateau de rivière tend à descendre au-dessous de 3 francs, et que le bateau de rivière, en vertu des droits acquis, circulera sans payer de taxe au canal. Le navire de mer surchargé du péage de 3 fr. 25 à la remonte, d’autant à la descente, pourra-t-il faire des conditions meilleures que son humble concurrent ? c’est peu croyable, car le navire construit, équipé pour la navigation maritime, coûte beaucoup plus cher, et de première mise et de frais journaliers, que l’ensemble des bateaux de rivière, remorqueur compris, capables de recevoir le même chargement que lui.

Un fait concluant à l’appui de cette considération existe en Amérique. Le Saint-Laurent est accessible aux grands navires de mer jusqu’à Montréal. A 50 kilomètres à peine au-delà de cette ville, en remontant le grand fleuve, est le lac Ontario, puis derrière, l’Érié,