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des oranges luit dans les fourrés, et de grandes roses fragiles, plus glorieuses que les nôtres, épanchent leur senteur familière. On imagine ainsi la nature persane, celle des poèmes de Firdousi.

Même beauté paisible, même épanouissement heureux des fleurs dans le cimetière où reposent les morts de 1857. La Résidence que sir Henry Lawrence détendit si longtemps avec une poignée de soldats, est un monceau de ruines noircies par le feu, trouées par le canon, aujourd’hui enlacées par une verdure de plantes grimpantes d’où retombent en flammes des grappes de fleurs jaunes.

Je viens de relire le récit de ce siège. Ce qui frappe dans cette histoire, c’est le sentiment qui soutenait les défenseurs. Il y a eu autre chose chez eux que de la bravoure, que l’amour de la gloire ou de la patrie, — j’entends d’abord un fonds d’orgueil grave et de ténacité, et aussi un sentiment religieux très haut et très sérieux. Tous les matins, les officiers et les soldats, avec les femmes et les enfans réfugiés dans le château, entonnaient des psaumes, les mêmes que chantaient les aïeux puritains persécutés, pour se soutenir, pour s’encourager à la constance, et les grands versets bibliques leur inspiraient l’enthousiasme grave et silencieux, la ferveur qui donne la force de faire tranquillement et de sang-froid le sacrifice de la vie. « Ici repose Henry Lawrence, qui essaya de faire son devoir. Que le Seigneur ait pitié de son âme, » dit simplement une dalle du petit cimetière parfumé.

Aujourd’hui, à Cawnpore, j’ai vu le puits que Nana-Sahib combla des corps pantelans des Anglais, hommes, femmes, enfans qui s’étaient fiés à sa parole. Tout autour on a mis le silence d’un grand parc et le calme des fleurs. Un ange de marbre, les ailes repliées, se dresse à la margelle du puits, que ceint une balustrade gothique. Les yeux baissés ont une sérénité divine, les mains jointes retombent dans un geste de pardon.


7 décembre.

Nous montons toujours, dans le nord-ouest, vers le pays musulman. J’admire beaucoup ces chemins de fer de l’Inde. Les wagons sont munis de cabinets de toilette où l’on peut prendre une douche, de couchettes que l’on rabat lorsqu’on veut s’étendre, et, la nuit, tout voyageur de première et de seconde classe a droit à l’une de ces couchettes. Si l’on veut dîner en route, on avertit le conducteur, qui commande les repas par le télégraphe, et l’on trouve la table servie aux stations où le train s’arrête : le matin, pour le déjeuner; à une heure, pour le tiffin; à six heures, pour le dîner. On parcourt ainsi, et sans fatigue, des espaces de deux mille kilomètres, et l’on pense avec pitié aux pauvres gens qui,