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d’une révolution. La Porte allait-elle retirer ou renouveler ce mandat ? La Russie saisirait-elle ce prétexte pour renouveler ses protestations et réclamer définitivement l’exécution du traité de Berlin ? Par le fait, tout s’est passé sans trouble, sans la plus légère contestation diplomatique, c’est-à-dire que ce qui existait a continué à exister sans que rien ait été demandé et accordé. Aujourd’hui comme hier, le prince Ferdinand de Cobourg règne à Philippopoli tout aussi bien qu’à Sofia, son premier ministre, M. Stamboulof, gouverne despotiquement : l’Europe n’a rien reconnu, il n’en est ni plus ni moins. C’est le premier incident. Les ennemis du gouvernement bulgare avaient-ils compté sur une crise à ce moment de transition et ont-ils vu là une circonstance favorable pour leurs conspirations ? Toujours est-il que peu auparavant un attentat des plus graves a été commis à Sofia. Le premier ministre, M. Stamboulof, et le ministre des finances, M. Beltchef, se promenaient le soir dans les rues de la ville. Des assassins les ont suivis, se sont jetés sur eux, — et le coup probablement destiné à M. Stamboulof a atteint l’inoffensif ministre des finances, M. Beltchef. C’est là l’autre incident !

Que peut signifier cet assassinat ? quelles peuvent en être les conséquences ? Le plus vraisemblable est que ce drame lugubre est l’œuvre de quelques conspirateurs de l’intérieur altérés de vengeance, et c’est peut-être une hardiesse périlleuse de signaler, ainsi que l’a fait le prince Ferdinand dans un rescrit, de prétendus ennemis « extérieurs » comme les instigateurs du meurtre. C’est la Russie qu’on désigne visiblement ainsi, et il est bien clair que la Russie, qui a montré une assez patiente longanimité dans ces affaires bulgares, n’a pas besoin de l’assassinat de M. Stamboulof le jour où elle voudrait attester sa politique. Quant aux conséquences, l’attentat de Sofia, si déplorable qu’il soit, n’en peut évidemment avoir. Il crée pour le moment, si l’on veut, une certaine popularité à M. Stamboulof, qui a fort heureusement échappé au meurtre dont son infortuné collègue a été la victime ; il ne change rien pour la diplomatie. Il peut tout au plus dévoiler encore une fois un état révolutionnaire sur lequel toutes les puissances qui ont coopéré au traité de Berlin seront nécessairement appelées un jour ou l’autre à se prononcer.

Tandis que la reine Victoria, impératrice des Indes, reçoit gracieusement une hospitalité gracieusement offerte en terre française, à Grasse, et que son premier ministre, lord Salisbury, se repose lui-même aux bords de la Méditerranée ; tandis que le monde parlementaire a été un moment dispersé par les vacances de Pâques, l’Angleterre tourne depuis quelques jours ses regards avec une certaine anxiété vers les régions indiennes. L’Angleterre a les inconvéniens de la grandeur. Elle étend sa puissance dans l’univers entier ; elle a partout des domaines et partout aussi elle a des points vulnérables, des difficultés sans cesse renaissantes. Elle a tout ce monde incohérent et vivace de colonies