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termes exprès[1], Napoléon a réservé toutes les cures et tous les vicariats aux « ecclésiastiques pensionnés en vertu des lois de l’assemblée constituante. » — Non-seulement, par cette confusion de la pension et du traitement, il s’allège d’une charge pécuniaire, mais encore, aux jeunes prêtres, il préfère les vieux, et de beaucoup ; nombre d’entre eux ont été constitutionnels, tous sont imbus de gallicanisme, c’est lui qui les a tirés de l’exil ou sauvés de l’oppression, ils lui en savent gré ; ayant longuement et durement pâti, ils sont fatigués, ils doivent être assagis, ils seront maniables. D’ailleurs, il a sur chacun d’eux des renseignemens précis ; leur conduite passée lui prédit leur conduite future ; quand il en choisit un, ce n’est jamais à l’aveugle. Au contraire, les ordinands sont inconnus ; le gouvernement qui les agrée ne sait rien d’eux, sinon qu’à l’âge où l’esprit a sa fièvre de croissance et où l’imagination contracte sa forme fixe, ils ont été soumis, pendant cinq ans, à l’éducation théologique et à la vie claustrale. Les chances sont pour que chez eux la chaleur de la jeunesse aboutisse à la raideur de la conviction et aux préjugés de l’inexpérience ; en ce cas, le gouvernement qui les exempte de la conscription pour les admettre dans l’Église échange une bonne recrue militaire contre une mauvaise recrue ecclésiastique ; à la place d’un serviteur, il se donne un opposant. C’est pourquoi, pendant ses quinze ans de règne, Napoléon n’autorise que 6,000 ordinations nouvelles[2], en tout 400 par an, 100 par diocèse, 6 ou 7 par diocèse et par an. — Cependant, par ses décrets universitaires, il perce des jours laïques dans la clôture cléricale[3] et ferme aux prêtres suspects la porte des dignités ecclésiastiques[4]. Pour plus de sûreté, en tout diocèse où « les principes de l’évêque » ne lui donnent pas satisfaction complète, il interdit toute ordination, nomination, promotion ou grâce quelconque. — « J’ai[5] rayé toutes les demandes

  1. Articles organiques, p. 68.
  2. Bercastel et Henrion, Histoire générale de l’Église, XIII, p. 32. (Discours de M. Roux-Laborie, député en 1816.)— Aujourd’hui, les ordinations oscillent entre 1,200 et 1,700 par an.
  3. Décret du 15 novembre 1811, articles 28, 29, 32 : « A dater du 1er juillet 1812, toutes les écoles secondaires ecclésiastiques (petits séminaires) qui ne seraient point placées dans les villes où se trouve un lycée ou un collège seront fermées. Aucune école secondaire ecclésiastique ne pourra être placée dans la campagne. Dans tous les lieux où il y a des écoles ecclésiastiques, les élèves de ces écoles seront conduits au lycée ou au collège pour y suivre les classes. »
  4. Correspondance de Napoléon (notes pour le ministre des cultes), 30 juillet 1806. Pour être curé de première classe, chanoine, vicaire-général ou évêque, il faudra désormais être bachelier, licencié, docteur, avoir les grades universitaires, « ce que l’Université pourra refuser, dans le cas où le candidat serait connu pour avoir des idées ultramontaines ou dangereuses à l’autorité. »
  5. D’Haussonville, V, p. 144 et suiv. (Lettre de Napoléon au ministre des cultes, 22 octobre 1811, omise dans la Correspondance.) La lettre finit par ces mots : « Cette manière d’opérer doit être tenue très secrète. »