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concerter avec eux pour modérer un mouvement dont le caractère révolutionnaire commence à l’inquiéter. Dès la fin de mai 1789, il avait sondé son collègue Malouet, en lui tenant le langage le plus sensé : « Vous êtes, je le sais, lui avait-il dit, un des amis sages de la liberté, et moi aussi ; vous êtes effrayé des orages qui s’amoncellent, je ne le suis pas moins ; il y a parmi nous plus d’une tête ardente, plus d’un homme dangereux ; dans les deux premiers ordres, dans l’aristocratie, tout ce qui a de l’esprit n’a pas le sens commun et, parmi les sots, j’en connais plus d’un capable de mettre le feu aux poudres. Il s’agit donc de savoir si la monarchie et le monarque survivront à la tempête qui se prépare ou si les fautes faites, et celles qu’on ne manquera pas de faire encore, nous engloutirons tous. »

il concluait en demandant à Malouet de lui procurer un entretien avec Necker et Montmorin. Celui-ci se déroba ; il ne pouvait pardonner la publication tout à fait indélicate de la correspondance de Berlin. L’homme qu’il avait autrefois protégé et payé, auquel il avait même confié une mission secrète, s’était disqualifié à ses yeux par un procédé si contraire aux convenances diplomatiques. Necker seul consentit à recevoir Mirabeau ; mais prévenu contre lui par son collègue et s’attendant sans doute à quelque demande d’argent, il le reçut froidement comme un simple solliciteur. On connaît le résumé célèbre de leur conversation peut-être un peu arrangée : — « Monsieur, aurait dit le ministre, M. Malouet m’a dit que vous aviez des propositions à me faire ; quelles sont-elles ? » — Mirabeau aurait répondu : « Ma proposition est de vous souhaiter le bonjour, » et serait parti. Si le mot est vrai, ce dont on n’est jamais sûr quand il s’agit des prétendus mots historiques, Mirabeau, au fond très peu satisfait de l’entrevue, ne s’en vanta pas auprès de ses deux collaborateurs, Dumont et Duroveray, qu’il voyait alors tous les jours.

On aurait tort de chercher un lien, comme on l’a fait quelquefois, entre cette déconvenue et l’attitude que prit Mirabeau à la séance royale du 23 juin. Dans l’intervalle, il avait donné à Louis XVI une nouvelle preuve de sa bonne volonté en défendant, le 17 juin, les prérogatives du souverain. Quelques jours plus tard, il disait encore au comte de La Marck : — « Le jour où les ministres du roi consentiront à négocier avec moi, on me trouvera dévoué à la cause royale et au salut de la monarchie. »

Comment concilier de telles déclarations avec une résistance presque révolutionnaire ? M. Charles de Loménie paraît avoir trouvé l’explication la plus plausible de ces contradictions apparentes en étudiant avec beaucoup de soin les préliminaires et la physionomie