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découvertes sur l’hypnotisme et sur les actions à distance, — nous conclurons qu’il y a dans la nature des forces qui échappent à nos sens, et, par cela même, à notre connaissance. Ces forces agissent probablement sur notre état général de sensibilité, mais nous ne les saisissons point par un sens distinct, pas plus que nous n’avons le sens distinct de l’électricité qui, en un jour d’orage, tend nos nerfs et fatigue notre cerveau. Il est impossible que nous sentions à part et que nous connaissions à part tous les modes d’action qui existent dans la nature : par la lutte pour la vie, les êtres sentans n’ont trié que les sensations directement avantageuses à la vie même. Nous sentons la fraîcheur utile et agréable du verre d’eau, nous ne sentons pas les animalcules sans nombre qui peuplent le verre d’eau. S’imaginer que notre faculté de sentir est égale à la capacité de fournir qu’a la nature, c’est une illusion de notre orgueil. Quand nous pensons traduire fidèlement les réalités dans le langage de nos sens, nous sommes comme un être qui, n’étant doué que de l’ouïe, aurait à traduire tous les événemens des guerres puniques en symphonie. Comment s’y prendrait-il et comment parviendrait-il à ne rien laisser échapper dans ses symboles de la réalité historique ?

D’autre part, on conçoit que chez certains individus, dans telles ou telles circonstances, des facultés de sentir se manifestent et s’exaltent qui ne sont d’ordinaire en nous qu’à l’état latent. Ces phénomènes, désignés jadis sous le nom de lucidité somnambulique, s’expliquent par l’exaltation de certains sens, ou de certaines sensations qui, à l’état normal, se perdent dans la masse, sont inhibées et étouffées sans arriver à produire dans la conscience un son distinct. Il faut donc admettre à la fois, dans la nature, des modes de force inconnus, dans la conscience, des modes de sentir inconnus.

La physique enseigne que nous subissons réellement l’action mécanique de la totalité du milieu matériel où nous sommes plongés : non-seulement la terre nous attire, par cette pesanteur dont nous prenons conscience en voulant nous élever en l’air, mais le soleil, qui attire la terre, nous attire aussi sans que nous le sentions ; Sirius et Arcturus nous attirent : nous subissons l’action de l’univers et nous réagissons, atome infiniment petit, au sein de l’infiniment grand. Or, le résultat auquel aboutit la philosophie contemporaine, nous l’avons vu, c’est l’union indissoluble et universelle du mécanique et du psychique, l’un étant la manifestation extérieure, l’autre étant la réalité intérieure, qui se sent, est présente à soi, existe pour soi. Tout mouvement d’un être vivant est le signe d’un appétit interne, accompagné d’une sensation plus ou