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mouvement qui a commencé, qui agite encore la Belgique, a un caractère particulier : il est politique au moins autant qu’industriel et social. Lorsque, il y a un mois, se réunissait à Paris le congrès international qui devait décider ce qu’on ferait le 1er mai, les délégués belges paraissaient les plus ardens pour engager l’action par un acte éclatant, par une grève générale ; mais ils ne le cachaient pas, s’ils voulaient engager l’action pour le programme ouvrier, pour les salaires et les huit heures de travail, ils étaient encore plus préoccupés d’exercer une pression sur le parlement et le gouvernement de leur pays par une manifestation qu’ils croyaient irrésistible : ils poursuivaient surtout leur campagne pour la révision de la constitution belge, pour la conquête du suffrage universel. C’est ce qui refroidissait les délégués anglais et même les délégués de quelques autres pays, qui hésitaient à s’engager dans cette voie sous le prétexte qu’on n’était pas prêt. Le coup de la grève générale était manqué ! Les chefs de l’agitation belge le sentaient bien eux-mêmes, et le conseil supérieur du parti ouvrier, appelé à délibérer, a fait d’abord ce qu’il a pu pour calmer les impatiences, pour retenir les partisans d’une suspension immédiate du travail et prévenir des actions décousues ; il voulait réserver ses forces en attendant les résolutions du parlement sur la révision. Seulement il est arrivé ce qui arrive toujours : les populations des bassins houillers, échauffées depuis longtemps, engagées déjà dans des grèves partielles, comptant sur le 1er mai, n’ont plus voulu rien écouter. Comme toujours aussi, les chefs du parti ont fini par suivre ceux qu’ils croyaient commander, — et le mouvement a éclaté en Belgique. Il est depuis quelques jours déjà dans toute sa force, dans toute sa violence.

De toutes parts, dans la vallée de la Meuse, le travail a cessé. L’agitation s’est répandue dans tous ces pays de Charleroi, de Liège, de Mons. Les grévistes se répandent dans la campagne ou sur les chemins, violentant les ouvriers qui veulent continuer à travailler, menaçant les usines, employant même la dynamite ou cherchant à allumer des incendies. Le gouvernement, en présence d’une situation qui s’aggravait d’heure en heure, a naturellement fait ce qu’il devait : il a envoyé des forces sur tous les points menacés, soit pour disperser les rassemblemens, soit pour protéger les usines.. On en est là depuis quinze jours : ces contrées de la Meuse sont le théâtre de conflits incessans, d’escarmouches quelquefois meurtrières entre la troupe, cavaliers, fantassins ou gendarmes, et les grévistes. C’est la suite du 1er mai. Comment tout cela va-t-il finir ? Évidemment, les chefs du parti montraient plus de clairvoyance en voulant garder leur armée d’agitation en réserve, en laissant suspendue sur les pouvoirs belges cette menace d’une grève générale. Les grèves qui agitent aujourd’hui le pays sont probablement destinées à finir bientôt d’épuisement. Il est douteux qu’elles servent