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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/503

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subdivisions, les habitans et tout ce qui les concerne, leur condition, leurs facultés et leurs communications, sont définis, comme dans la carte de Peutinger et dans la Notitia imperii romani avec une lucidité, une minutie et une rigueur extraordinaires, par une combinaison de l’esprit positiviste et de l’esprit mystique, par des théologiens qui sont à la fois des chrétiens et des administrateurs. Là-dessus, feuilletez la Somme de saint Thomas ; encore aujourd’hui, son ordre, les dominicains fournissent à Rome les consultans en matière de dogme; ou plutôt, pour abréger et transcrire les formules scolastiques en peintures sensibles, relisez la Divine comédie de Dante[1] : probablement, pour l’imagination, encore à présent ce tableau est le plus exact, comme le plus coloré, du monde humain et divin, tel que le conçoit l’Église catholique. Elle en tient les clefs, elle y règne et gouverne. Sur les âmes et intelligences, très nombreuses, qui, par naturel ou par éducation, sont disciplinables, qui répugnent à l’initiative personnelle, qui ont besoin d’une direction impérative et systématique, le prestige d’un pareil gouvernement est souverain, égal ou supérieur à celui que l’ancien État romain exerçait sur ses 120 millions de sujets. Hors de l’Empire, tout leur semblait anarchie ou barbarie ; même impression chez les catholiques à l’endroit de leur Église. Spirituelle ou temporelle, une autorité a bien des chances pour être adoptée et révérée, lorsque, toujours visible et partout présente, elle n’est ni arbitraire ni capricieuse, mais réglée, contenue par des textes, une tradition, une législation et une jurisprudence, dérivée d’en haut et d’une source plus qu’humaine, consacrée par l’antiquité, la continuité, la cohérence et la grandeur de son œuvre, bref, par ce caractère que la langue latine est seule capable d’exprimer, et qu’elle nomme la majesté.

Parmi les actes que l’autorité religieuse prescrit à ses sujets, il en est qu’elle impose en son propre nom, rites, pratiques extérieures et autres observances dont les principales, dans le catéchisme catholique, font suite « aux commandemens de Dieu, » et sont intitulées «les commandemens de l’Église. » — Chez les protestans, où l’autorité de l’Église a presque péri, les rites ont presque disparu ; pris en eux-mêmes, ils n’ont plus été considérés comme obligatoires ou méritoires; les plus importans, l’eucharistie elle-même, n’ont été conservés que comme des commémorations et des signes ; tous les autres, jeûnes, abstinences, pèlerinages, culte des saints

  1. Dans son atlas géographique de la Divine comédie, le duc Sermoneta-Gaetani a montré la correspondance exacte du poème avec la Somme de saint Thomas. — On disait déjà de Dante au moyen âge: Theologus Dantes nullius dogmatis expers.