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point d’associer l’amour de la peinture à l’amour des lettres et de la musique, et qui s’imaginent encore, comme dans les temps anciens, que toutes les muses sont sœurs et que tous les arts gagnent à s’entendre. Leurs œuvres, un peu dédaignées par les réalistes, ou se croyant tels (car l’imitation et la convention sont plus générales encore et plus effrontées chez les modernisans que chez les archaïsans), ont toujours du charme pour les délicats. C’est avec des réminiscences du Corrège et du Titien, sans doute, que M. Fantin-Latour évoque, dans une pénombre douce, les belles filles aux allures douces et aux carnations fines, dont les blancheurs, chastement caressées, éclairent ses rêveries des Danses, de la Tentation de saint Antoine, de la Vérité ; mais la transposition est faite avec un sentiment si fin et un amour si sincère de la beauté qu’on ne saurait lui rester indifférent. On voudrait un peu plus de scintillemens et de chatoiemens dans tous ces coquillages et ces fleurs aquatiques dont M. Albert Maignan a tapissé le Dormoir sous-marin de la Sirène. L’ensemble manque un peu d’éclat et de vivacité, mais la composition est charmante. Le Mariage de Bedreddin-Hassan, par M. Cormon, a le léger défaut de représenter un épisode des Mille et une nuits, que tout le monde peut ne pas avoir présent à l’esprit, et de nécessiter, pour son intelligence complète, une lecture du livret ; c’est donc une illustration littéraire, mais c’est une illustration vraiment aimable. Outre que les jeunes dames qui conduisent la fiancée à Bedreddin sont toutes fort jolies et bien attifées, c’est par un très fin et très amusant travail de pinceau que le peintre a fait briller, par un clair jour d’été, entre des murs blancs, le satin des joues rosées et le satin des robes froissées, le sourire des lèvres en fleurs et le sourire des rayons en joie. Il nous semble qu’il faut attacher d’autant plus de prix à cette manière spirituelle, savante aussi, mais vive et légère, et si française, de comprendre la peinture, qu’on nous accable davantage de maçonneries à la fois grossières et creuses, pédantesquement maladroites et effrontément ennuyeuses.

Rester naturel en inventant, donner de la vraisemblance à ses rêves, c’est ce qui devient de plus en plus difficile en notre temps, parce que, d’une part, on s’y exerce moins fréquemment et que, d’autre part, l’intelligence de la masse ne va guère au-delà d’une imitation mesquine et superficielle des objets environnans. Voyez à quels efforts se livrent ceux d’entre nos artistes qui conservent encore l’amour éclairé de la beauté plastique, amour dont la Grèce antique et l’Italie de la renaissance firent un culte trop absolu, peut-être, mais qui ne saurait disparaître, dans une nation civilisée, sans faire perdre à sa culture, sous ses deux formes les plus hautes, la littérature et les arts, une grande partie de ses moyens d’action et de