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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/664

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ses séductions légitimes! Dans le grand salon d’entrée, deux peintres de mérite, MM. Guay et Franc Lamy, ont essayé de mêler les figures nues au paysage, l’un dans une intention élégiaque, l’autre avec des visées décoratives. Y sont-ils parvenus? Dans la Mort du chêne, de M. Guay, je vois d’un côté quelques troncs d’arbres récemment abattus, fidèlement copiés; d’autre part, trois jeunes femmes, aux chairs rondes et blanches, en des attitudes de désespoir, fidèlement copiées aussi; mais qu’est-ce qui apparente et relie ces femmes à ces arbres? Quelle émotion, quelle souffrance, quelle harmonie communes? Les modèles ont bien posé, le peintre les a bien reproduits; mais son imagination n’a pas fondu le tout. Dans le Printemps fleuri, il reste aussi beaucoup d’indécision. L’artiste a trop hésité entre le parti-pris plastique et le parti-pris décoratif. Les touffes de fleurs et de verdures, sur le premier plan, ont un accent de réalité qui ne s’accorde pas avec l’aspect conventionnel, tout en décor, de l’horizon. On a toujours le choix entre une harmonie vraie et une harmonie imaginaire ; mais il faut faire ce choix et s’y tenir. C’est ce que semble avoir oublié un peu M. Lamy; la même hésitation apparaît dans la façon dont il modèle les jeunes femmes, à demi drapées, qui cueillent des gerbes de fleurs dans ce jardin idéal ; quelques-unes ont des attitudes charmantes, mais leur beauté nous ravirait mieux si elle était dessinée et peinte avec plus de franchise et sous un éclairage plus vraiment printanier, plus léger et plus frais.

L’éclairage conventionnel est parfaitement de mise lorsqu’on s’en sert avec résolution pour accentuer le caractère d’une figure, et surtout d’une figure d’étude, au point de vue des formes, du relief ou de l’expression. Le peintre se sert alors d’un procédé identique à celui que les sculpteurs emploient et qui consiste à supprimer quelques-uns des élémens fournis par la réalité pour donner plus d’importance aux autres. M. Bonnat, voulant, par exemple, nous communiquer, dans sa Jeunesse de Samson, une impression d’ordre sculptural, c’est-à-dire nous faire sentir, dans ses figures, le mouvement rythmé des contours et la force des saillies osseuses et musculaires, bien plus que la vivacité de l’action et la couleur des enveloppes extérieures, a construit sa peinture comme une métope; et, sans tenir compte du milieu ambiant, il a donné à ses fonds une teinte neutre qui sert de soutien à un véritable bas-relief. M. Henner agit de même en général, mais dans des intentions plus compliquées, car les jeux d’une lumière tendre et subtilement nuancée sur ses blanches figures le préoccupent autant que les délicats reliefs de leurs carnations ivoirines. Il ne s’est jamais montré plus habile ni plus souple que cette année en ces exercices raffinés. Si sa Pietà, un Christ mort étendu sur la dalle