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REVUE LITTERAIRE

LES MEMOIRES D'UN HOMME HEUREUX

Mémoires de Marmontel, nouvelle édition, avec préface, notes et tables, par M. Maurice Tourneux, 3 vol. in-18. Paris, 1891 ; librairie des Bibliophiles.

Si peut-être, comme je vous le souhaite, vous n’aviez jamais lu Cléopâtre ni Denys le Tyran, Bélisaire ni les Incas, il faudrait vous garder de les lire. Mais puisqu’il arrive parfois qu’un homme de lettres, sur ses vieux jours, après avoir écrit quarante ans sans talent, s’en découvre à remémorer les bonnes occasions qu’il a échappées d’en avoir, c’est le cas de quelques-uns de nos contemporains, dans leurs Souvenirs ou dans leurs Mémoires des autres ; et c’est le cas, dans les siens, de Jean-François Marmontel, poète lyrique, dramatique, didactique, érotique, romancier, conteur, grammairien, critique, journaliste, secrétaire des bâtimens, historiographe de France, et secrétaire perpétuel de l’Académie française. Non-seulement ses Mémoires, avec ceux de l’abbé Morellet, son confrère et beau-frère, avec ceux de Mme d’Epinay, avec les Confessions de Rousseau, sont au nombre des plus curieux que l’on puisse consulter sur les hommes de lettres et sur quelques-uns des « salons » du XVIIIe siècle, — ces salons où j’ai toujours pensé qu’on avait dû s’ennuyer autant qu’en lieu du monde ! — mais ils contiennent encore de fort jolies pages, des pages pittoresques, animées et vivantes, que gâte à peine un peu de la déclamation ou de la sensiblerie du temps. Il faut les avoir lus, et on peut les relire. Si c’est notre opinion, c’est aussi celle de M. Maurice Tourneux, qui n’a pas eu d’autre raison de s’en faire le dernier éditeur, et qui s’est acquitté d’une tâche assez délicate avec autant de discrétion que de connaissance des hommes et des choses du XVIIIe siècle.