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intacts. Voyez le marchand de pierres précieuses, encore un métier longtemps exercé par les juifs ; comme il tourne et retourne les diamans ou les rubis, les regardant sous tous les angles, les approchant et les éloignant de ses yeux, les faisant briller au jour ou à la lampe, en estimant la grosseur, la transparence, l’éclat, la pureté. Ainsi le juif, des choses et des idées ; il sait tout évaluer à son juste prix ; il est en garde contre l’engouement. Cet esprit de précision, le juif le porte partout avec lui, dans la vie aussi bien que dans les affaires, dans la science non moins que dans le commerce ; c’est là une de ses forces. Il a, plus que personne, le goût et la notion du réel, le sens pratique.

Et, comme les choses, il a appris à connaître les hommes. Il en a tant vu, de tout âge et de toute origine, venir, sur la place, au comptoir de son arrière-grand-père, le trapézite, ou se glisser furtivement, à la nuit tombante, par la porte basse de son bisaïeul, le prêteur sur gages. Grands ou petits, enrichis ou ruinés, il les a tous connus : le joueur, l’ambitieux, l’amoureux, le prodigue, l’avare, le roué, le candide ; il les a observés à son aise, aux heures de transport, de gêne ou d’angoisse, où l’homme se laisse voir à nu. Jeunes et vieux, nobles et bourgeois, citadins ou paysans sont venus lui mendier des avances ; il a pu, durant des siècles, les toiser à loisir ; n’ont-ils pas tous été les cliens d’Israël ? Aussi le juif a le flair des hommes, il sait les prendre et les enjôler. — De ses ancêtres, le courtier et le facteur, il tient, également, les paroles insinuantes et flatteuses, l’adresse du marchand, l’art de parer sa marchandise et d’achalander sa boutique. Le juif n’a pas d’égal pour le savoir-faire. Il sait, de longue main, que l’occasion est chauve, et personne n’est plus agile à poursuivre la fortune, ou plus habile à la fixer. Est-ce la peine de le dire ? C’est le plus fin limier à la chasse des florins et des ducats. Nous l’y avons nous-mêmes dressé ; il a été élevé pour cela, comme un chien anglais pour la chasse au renard. Cette aptitude de la race, inutile d’y insister. Elle nous est connue, nous risquons même d’en exagérer l’importance. Cette face de trafiquant, de coureur aux écus, est celle sous laquelle nous nous figurons le plus souvent le juif, parce que, d’habitude, c’est celle qu’il tourne vers nous. Prenons garde ! n’allons pas nous imaginer que l’homme d’argent ait jamais été tout le juif.

Le changeur, le trapézite, le brocanteur, l’usurier n’est pas l’unique ancêtre du juif moderne. Il en a un autre, moins connu de nous, mais dont il ne tient pas moins. On aurait tort de l’oublier, car c’est lui qui personnifie la tradition de Juda, l’esprit propre d’Israël, tandis que l’autre, le manieur d’argent, ne représente guère que les métiers que nous lui avons imposés. Cet ancêtre, — le plus ancien et le plus aimé d’Israël, c’est le rabbin, le