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salué, dans la transformation de la démocratie représentative en démocratie directe, la réponse à ses rêves, le moyen de réaliser normalement la souveraineté de la nation : n’est-ce pas, en effet, ici, le peuple qui commande et sans qu’il soit besoin de le réunir eu assemblées délibérantes ? Une fois de plus l’utopie n’aura été que la vérité vue de loin.

Que-diraient aussi, en présence de l’évolution dont nous sommes témoins, les conservateurs suisses des précédentes générations, qui, à l’aurore des temps nouveaux, se demandaient avec angoisse ce qu’il allait advenir de l’ordre, du droit, de la liberté, du progrès. Dans leur incapacité à découvrir, dans la démocratie elle-même, un point de résistance qui permît de réagir contre ses écarts, une sauvegarde efficace, ils s’accrochaient à toutes les épaves du passé.

Or, à cette heure, l’élargissement de la démocratie ne trouve pas seulement grâce, mais faveur auprès des fils de ces mêmes hommes. Ceci est absolument topique. Que l’on consulte l’histoire politique de ces dernières années, et l’on verra que les progrès du gouvernement direct en Suisse sont dus, le plus souvent, à l’effort convergent de deux partis : les groupes ouvriers, qui donnent l’impulsion, et les groupes conservateurs, qui suivent et parfois même devancent les premiers.

Est-ce à dire qu’il faille attribuer aux masses la sagesse, la prudence, l’intelligence politiques infuses ? Il n’est pas question de cela ; mais l’expérience a démontré, au moins en Suisse, que, comme propulseur gouvernemental, comme volonté dirigeante, elles valent infiniment mieux qu’on ne l’avait cru. Elles sont, en somme, portées aux mesures honnêtes, ennemies, — par intérêt bien entendu, — du favoritisme et du gaspillage. Il est permis de compter sur elles beaucoup plus que sur des assemblées facilement dominées par l’esprit de parti. Il est vrai que, pour pouvoir se reposer plus entièrement encore sur leur initiative, une redoutable mission s’impose. Il faut faire leur éducation, leur meure sous les yeux de nobles exemples de civisme et de fidélité au devoir. Heureuse nécessité, d’ailleurs, puisqu’elle oblige chaque citoyen à se considérer comme ayant charge d’âmes dans l’incessant combat qui fait le fond de la vie des nations, entre les forces ennemies du bien et du mal.

Voilà donc où arrive la démocratie helvétique à la fin de ce grand siècle qui aura vu tant de choses. Si la direction suivie a été bonne, il faut s’en féliciter ; mais cela prouverait qu’il y a dans les destinées des nations quelque chose comme ce que Bossuet appelait les ordres de la Providence, car le procès dont nous avons