Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne percevait la caresse. Insensiblement, elle cessait de pleurer brisée, les regards au-delà, très loin. Elle se laissait flotter, sous cette sensation, dans la langueur berceuse des douleurs qui s’atténuent. Lui se retrouvait ; il se redressa, resta accoudé, au-dessus d’elle, au dossier du fauteuil. Et ils demeurèrent silencieux ; tandis que, lente, calme, sans surprise, les emplissant tous deux d’une douceur infinie, s’éveillait en eux l’impression que peut-être ils s’aimaient.

Pendant des jours, la jeune femme tomba à un trouble singulier. Il lui semblait s’agiter dans le vague d’une incertaine convalescence. La mort se reculait d’elle. Mais quelle chose donc, maintenant, s’élevait du fond de son cœur, ainsi qu’un chant ressouvenu qu’elle n’osait écouter ? Pourquoi donc des bouffées d’adolescence évoquaient-elles des clartés de soleil et des printemps, comme si sa vie, un moment interrompue de quelque mauvais rêve, allait vraiment se reprendre et s’achever ? N’étaient-ce pas, encore assoupies, indestructibles pourtant, les tentations mêmes dont toute sa vie avait été brisée ? Ces désirs vagues, ces aspirations et ces rêves, renaissant des cendres de son être, voulaient-ils donc l’élever encore, pour quelque nouvelle chute plus affreuse ?

Non, tout cela était un leurre ; c’était le chant trompeur des sirènes. Elle en détournait sa pensée, se voulant refermer à jamais en son suaire de morte. Et pourtant, d’un effort inaperçu, la vie la reprenait ; les sèves de son être charriaient, de son cœur à son cerveau, des effluves qui l’enveloppaient, la berçaient, la roulaient en de l’oubli, tandis que l’évocation de bonheurs encore possibles effleurait son esprit, y revenait, finissait par s’y attacher. Peu à peu elle discutait :

— Je sais, disait-elle à Daguerre, vous êtes bon. Vous vous êtes pris vous-même à l’illusion de votre propre plaidoirie, comme nous autres, pauvres femmes, qui croyons à nos mensonges.

— Non, répondit-il, je vous aime, simplement !

Elle ne parut pas avoir entendu. Elle continua, d’une voix blanche, comme se parlant à soi-même, rappelant son crime, s’accusant. Mais lui l’écoutait avec un sourire patient de convaincu, plus clair, plus confiant, plus radieux, à mesure qu’elle s’abaissait davantage. Qu’importait ! En était-elle moins elle-même ? Il l’aimait. Et qui savait si ce n’était pas à cause de cela qu’il l’avait aimée ? Au contraire, il avait un regret : il eût voulu qu’elle fût encore plus coupable, véritablement criminelle, pour lui montrer, par le même dévoûment, par la même espérance et le même désir, plus d’amour encore.

De jour en jour, alors, elle finissait par écouter, bercée en le