Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été donné d’être. Ce qu’avait fait celui-là, un autre l’eût pu faire, et qui savait si cet autre n’eût pas fait mieux ? Il n’accusait pas, il philosophait. Cela lui était logique que la femme, être faible, esclave dont on dore parfois la chaîne, eût des sentimens d’esclave. Elle atteignait très vite, d’une superficielle reconnaissance, à l’intime persuasion d’un acte naturel, d’une chose due. De se voir adulée, à cause de la situation même que lui créait l’homme, elle ne croyait plus, bientôt, qu’à son propre mérite, imaginait qu’elle avait été lésée, que pour un bien qu’elle avait pensé recevoir, des biens plus grands lui avaient été enlevés qui auraient pu lui échoir, qui lui seraient échus, certainement. Alors, la pensée que cet homme pût se leurrer au point de tirer de son acte quelque joie, pût se complaire en quelque sentiment de supériorité, se glissait, vite devenue humiliante, odieuse, révoltante. La vague rancune, éclose déjà, se développait, avivée d’orgueil ; elle atteignait à une haine, une haine vivace, terrible, indestructible, avant même que l’impression ressentie se fût précisée en l’esprit, que le mot eût été formulé dans la pensée. Cela éclatait un jour, brusquement, pour une futilité, aboutissait aussitôt à l’adultère, par un besoin de se prouver à elle-même qu’elle n’avait pas été achetée, par l’instinct de revanche des esclaves envers les maîtres.

Mais cette généralisation, englobant toutes les femmes, par une exagération de son esprit aigri, atteignait sa femme surtout. C’était elle, toujours, qu’il retrouvait au fond de sa pensée, puisqu’elle lui devait tout. Et, principalement, le germe mauvais qui fermentait en lui se développait par les rapprochemens du présent avec le passé, du premier mari avec lui-même. Une angoisse plus poignante le tourmentait de songer que ce premier mari, justement, l’avait épousée pauvre par amour. Le procès qu’il avait plaidé alors le harcelait, entrevu sous un jour nouveau. De son tourment même, une volupté amère se dégageait. Il avait presque une joie douloureuse, mauvaise, mais attirante, à penser que peut-être il s’était égaré, dupé par sa passion. Un désir malsain le travaillait de revoir son œuvre de salut, de la reprendre, de la démolir lui-même pièce à pièce.

Pour lui aussi, les détails de l’affaire s’accumulaient, surgissaient de leur lointain. Des points qu’il n’avait jamais voulu connaître, des aveux que dans sa respectueuse adoration, dans la générosité de son absolution et l’aveuglement de sa foi si haute, il avait arrêtés sur les lèvres de sa femme, reparaissaient, étrangement conservés en d’obscurs replis de sa mémoire ; et d’être incomplets justement, de n’avoir fait que l’effleurer d’un vol inaperçu, de n’avoir pas été discutés et examinés sous toutes leurs faces, la