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sous le drapeau blanc, de raffermir un trône, la royauté d’un Bourbon par une expédition « courte et presque sans danger. » Ils avaient jusque dans le conseil plus d’un représentant, à commencer par le ministre des affaires étrangères, M. de Montmorency. Placé entre tous les camps, M. de Villèle ne se hâtait pas de se décider. Ce n’est pas que dès le premier instant il n’eût démêlé l’intérêt de la France dans les affaires d’Espagne[1], et qu’il n’eût prévu la nécessité, au moins la possibilité de la guerre. Il s’était précautionné par une série de mesures financières destinées à créer des ressources et par la transformation du cordon sanitaire des Pyrénées en armée d’observation; mais en se mettant en garde, en prévoyant tout, il ne désespérait pas encore d’épargner au pays une expédition peut-être hasardeuse, sûrement coûteuse. Il n’avait pas les vaines illusions de ses mamelucks du royalisme. Il voyait, en regardant l’Europe, qu’il y avait bien des points obscurs et délicats, bien des différences de positions, que si les puissances continentales, qui étaient loin, pouvaient brusquer une rupture diplomatique avec la révolution espagnole sans entrer en guerre, la France, qui était sur les Pyrénées, ne pouvait prononcer certaines paroles sans être prête à les appuyer par les armes. Il avait de plus la préoccupation de l’Angleterre, dont l’attitude restait énigmatique, qui affectait une neutralité plutôt sympathique pour les constitutionnels de Madrid et qui pouvait saisir l’occasion d’une crise pour se tourner vers les colonies espagnoles d’Amérique déjà en révolte. Il calculait tout avec sa raison pratique. Il aurait voulu tout à la fois éviter de s’engager par des résolutions prématurées, attendre les délibérations des puissances alliées, réserver la liberté de la France, obtenir enfin que l’intervention, s’il fallait s’y décider, restât une affaire française, et que l’Europe n’y fût associée que par un appui moral, au besoin par une garantie, si l’Angleterre se montrait hostile. C’est la politique que M. de Villèle proposait de porter à Vérone.

Il se défiait de M. de Montmorency, non de sa droiture et de sa loyauté, mais de ses lumières, de son jugement[2] ; il le savait lié

  1. M. de Villèle a écrit dans ses Notes : « Je voyais sans la moindre indécision combien il importait à la stabilité et à l’honneur du règne des Bourbons en France, de maintenir sur le trône la branche des Bourbons d’Espagne, de conservera la France le plus grand résultat de la politique de Richelieu et de la puissance de Louis XIV, l’abaissement des Pyrénées et la libre disposition de toutes nos forces militaires sur les autres frontières, fondée sur une sécurité complète du côté de l’Espagne... » — (Mémoires, t. III. p. 273.)
  2. Le roi se défiait encore plus que son premier ministre de M. de Montmorency. Détail curieux et peu connu: Louis XVIII, ne pouvant aller lui-même au congrès des souverains, avait voulu d’abord envoyer M. de Villèle à Vérone. M. de Villèle s’y refusait, prétextant de son incompétence, de la nécessité de sa présence à Paris, au centre du gouvernement, mais surtout parce que le choix eût été par trop blessant pour M. de Montmorency.