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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/541

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touchait déjà au terme, le duc d’Angoulême écrivait à M. de Villèle sans y attacher plus d’importance : « J’ai reçu depuis peu trois lettres de M. de Chateaubriand, avec qui je ne suis pas en correspondance, ne l’étant qu’avec vous seul des ministres, ne rendant compte qu’à vous ou à mon père, et ne recevant que par vous les instructions du roi. »

Ce n’est pas tout. M. de Villèle n’était pas seulement l’homme utile, le conseiller actif et sérieux de tous les instans, même dans les opérations de guerre; il représentait, autant qu’il le pouvait, la sagesse, l’esprit de mesure, la raison prévoyante dans la politique de l’intervention. Par le fait, le chef du cabinet à Paris et M. le duc d’Angoulême, dans son camp, étaient les modérateurs dans cette entreprise de restauration royale au-delà des Pyrénées. M. de Villèle, après avoir retenu les impatiences belliqueuses jusqu’au moment d’entrer en Espagne, ne cessait maintenant de répéter qu’il ne fallait ni réactions ni violences, que ce serait se tromper étrangement de prétendre rétablir le régime absolu sans garanties. Il voulait bien se servir des royalistes espagnols, mais en les modérant. Le duc d’Angoulême, ce prince qui avait plus de bon sens que d’éclat, était lui-même tout entier à cette politique. Il ne voulait pas souffrir qu’à l’abri de son drapeau on se livrât à des représailles de parti, à toutes les fureurs de passions vindicatives. Déjà en marche sur l’Andalousie, il publiait une ordonnance, — Ce qu’on a appelé l’ordonnance d’Andujar, — par laquelle il désavouait les excès des autorités royales et armait ses lieutenans contre les arrestations arbitraires qui se multipliaient sur son passage, qui le révoltaient. Et, pendant ce temps, c’était M. de Chateaubriand qui se faisait le patron des excès du royalisme, qui écrivait, tout affairé, à M. de Villèle : « Mon cher ami, je crois que vous devez écrire aujourd’hui même à M. le duc d’Angoulême pour une chose capitale. Qu’il prenne garde à verser trop dans le sens des constitutionnels espagnols. Il me revient de toutes parts que les royalistes s’effraient de cette disposition du prince. Ce sont, après tout, les royalistes qui font aujourd’hui nos succès... Je vous assure qu’il est de la dernière importance de prévenir le prince[1]. » Ce brillant génie, il n’avait pas tout fait, comme il le croyait; il était même quelquefois plus embarrassant qu’utile dans les affaires.

  1. Cela n’empêchait, bien entendu, M. de Chateaubriand de s’élever bientôt contre les réactions à outrance, contre les répressions illimitées de la Restauration espagnole, et d’écrire de fort belles dépêches ; mais alors pourquoi écrivait-il peu auparavant des billets intimes au président du conseil pour lui demander de prémunir le duc d’Angoulême contre ses velléités modératrices? Cela signifiait tout simplement qu’il ne s’entendait pas toujours avec lui-même, qu’il voulait tantôt plaire aux ultra-royalistes, tantôt rester en intelligence avec l’opinion libérale.