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Alors le paysan hoche la tête ; on assure qu’il n’y a pas moins de trois cents fermes à visiter et que la région va être occupée pendant des semaines ; faudra-t-il donc héberger tous ces gens-là aussi longtemps que se prolongera leur séjour ? Cette pensée l’assombrit et l’inquiète, tandis qu’il assiste avec plus de calme qu’il ne l’aurait cru au rassemblement et au départ de la force armée. Les bugles sonnent, les coursiers hennissent, les officiers lancent d’une voix tonnante les commandemens et les ordres. Le head constable du comté est là, surveillant avec un corps de policiers de réserve l’arrivée des représentans tranquillisés de la commission ecclésiastique. Cependant, on s’ébranle, on se met en route ; vingt militaires précèdent les voitures, vingt autres les suivent. On s’arrête devant une première ferme dont la cour, les bâtimens et jusqu’aux étables sont bondés de curieux, d’ailleurs plus étonnés qu’intimidés. Ne pouvant approcher des civils soigneusement entourés par la cavalerie, les perturbateurs recommencent l’infernal tapage de la veille ; au bruit des trompes, les chevaux dressent l’oreille, ruent et se cabrent, mais des charges bien dirigées et quelques arrestations ne tardent pas à avoir raison des mutins les plus excités. Il faut payer, malgré tout. Dix-neuf fermes sont successivement envahies et les sommes dues, 30 schellings, 15, parfois moins encore, disparaissent dans la sacoche des collecteurs. Tout cela ne s’accomplit pas sans protestations. Il est des fermiers qui refusent absolument de s’exécuter ; alors on leur enlève du bétail pour une valeur correspondante. Bientôt l’expédition traîne à sa suite une quantité d’animaux domestiques. Les poules piaillent, les porcs grognent, les vaches mugissent. L’affaire tourne au comique. Une truie résiste aux collecteurs avec tant d’adresse et de succès qu’il faut une demi-heure pour s’en rendre maître, ficeler les pattes de la bête récalcitrante. Pendant cette lutte homérique, l’hilarité du public est à son comble et quand on s’aperçoit, aux grimaces d’un des spoliateurs, qu’il a été cruellement mordu au pouce, on applaudit, on se tord, l’enthousiasme tient du délire, l’honneur du peuple est vengé. Pourtant, en dépit de la bonne humeur de la foule, les représentans de la loi avaient encore quelques épreuves à traverser. Vers la fin de cette mémorable journée, on arrive à un établissement agricole habité par une vieille dame que la persévérance de son opposition à l’église a rendue célèbre dans tout le pays. C’est la « reine de Llannefydd, » et dans ce sobriquet caractéristique, il y a tout un passé de gloire, c’est-à-dire de bon combat contre le clergé anglican. La « souveraine » a barricadé ses portes. À côté d’elle, un groupe armé de gourdins et de pots de goudron brûlant attend l’ennemi de pied ferme. La victoire reste à l’autorité,