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I.

Le personnage s’offre à notre étude de la façon la plus favorable. Il est naïf et franc. Tout ce qu’il raconte, il l’a vu de ses yeux ou bien il l’a ouï dire de témoins très sûrs ; il y croit aussi fermement qu’à la Sainte-Trinité et au démon. Il ne cherche point à faire illusion sur ses propres vertus. Lui qui a vécu dans l’intimité de deux ou trois saints, il ne fut jamais qu’un moine de médiocre ferveur « engendré dans le péché de ses parens, de mœurs irrégulières, d’une conduite plus insupportable qu’il ne peut le dire. » Un sien oncle avait pris, à douze ans, le petit Bourguignon, fort éveillé déjà, gâté par la vie séculière et très têtu, il le revêtit malgré lui du froc monacal. Raoul se confesse avec bonne grâce d’avoir résisté par orgueil à tous ses supérieurs, désobéi aux vieux pères, irrité les frères de son âge, tourmenté les novices; partout où il passait, on respirait dès qu’il était parti. On le chassa de plusieurs couvens : « Grâce à mes connaissances de lettré, j’étais toujours assuré d’un asile. » En effet, à Saint-Germain d’Auxerre, on lui fit restituer les épitaphes des tombeaux rongées par le temps. Mais à peine les inscriptions rétablies, on le pria d’aller plus loin. A Dijon, il fut accueilli par Guillaume, abbé de Saint-Bénigne, qui l’emmena en Italie (1028). Il se fixa enfin, déjà vieux, et, sans doute, apaisé, à Cluny, où il acheva son histoire sous les yeux de l’abbé Odilon. Ce bénédictin aventureux s’endormit dans le Seigneur au milieu du XIe siècle.

Ni ascète ni mystique, impatient de toute discipline, porté à la malice, ami des courses vagabondes, tel fut, en sa moralité générale, le chroniqueur Glaber. Ces irréguliers furent, au moyen âge, la plaie du monachisme. Ils ont fait cruellement souffrir saint Bernard, au XIIe siècle. Les saints n’avaient alors d’autre souci que la réforme perpétuelle des ordres religieux. Mais les saints, même appuyés par les empereurs et les papes, n’étaient pas toujours les plus forts. L’institut de saint Benoît semble fort malade durant les cent cinquante années qui précèdent le pape-moine Grégoire VII. La richesse séculière, l’attrait de la puissance politique, l’ont détaché des vertus cardinales imposées par le fondateur : la prière, l’étude, le travail des mains, la charité. Une abbaye vaut alors autant qu’un comté: l’égoïsme, le népotisme, le mépris du droit d’autrui, toutes les violences féodales, en compagnie des sept péchés capitaux, corrompent les cloîtres les plus illustres, Cluny, Subiaco, le Mont-Cassin. Parfois, un scandale inouï appelle l’attention de la chrétienté. En 936, un jeune moine de Farfa, le