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des orateurs et des poètes de Rome, Virgile, Térence, Juvénal, Horace, Lucain, dont les noms seuls faisaient pâlir les moines. Écolâtre de Reims, abbé de Robbio, archevêque de Reims, puis de Ravenne, Gerbert écrivait sans cesse à tous les clercs savans de France, d’Italie, d’Allemagne, pour obtenir des manuscrits ou des transcriptions d’auteurs profanes, les livres rares des médecins grecs ou des mathématiciens arabes. La bibliothèque de Robbio contenait tous les écrivains alors connus de l’antiquité, et même un poème que le moyen âge n’aurait entr’ouvert qu’avec effroi ; le de Natura rerum de Lucrèce. Il cultivait sans scrupule les sciences suspectes, l’astronomie et la médecine. Son latin, plus net que celui de saint Augustin, plus nerveux que celui de la plupart des humanistes de la Renaissance, est d’une élégance presque classique. On devine, en lisant la chronique de son disciple le moine Richer, avec quel zèle étaient étudiés autour de Gerbert les historiens tels que Salluste. Et à la façon raisonnable dont Richer raconte l’histoire de son temps, à l’art avec lequel il fait revivre les figures, à la logique de son récit, où se détachent avec clarté de longs épisodes, tels que la réformation d’une église ou d’un monastère, on reconnaît l’éducation généreuse que Gerbert donna par l’exemple de sa vie comme par le gouvernement de son école.

Mais le cloître s’oppose alors à la maison de l’évêque, l’école monastique repousse toute étude qui ne sert point au salut. Les hagiographes de ce temps écrivent volontiers : « Un tel, renonçant aux vanités de la science, s’est fait moine, n Un contemporain de Glaber, le chroniqueur de Novalèse au Mont-Cenis, décrit l’emploi du jour dans les monastères bénédictins; la solitude de la cellule, la psalmodie en commun au chœur, l’audition d’une homélie, le repas silencieux, le retour à la cellule, et la journée est finie. Le moine ajoute que des surveillans rôdent de porte en porte pour épier pendant la nuit les frères qui veillent après la prière du soir. La papauté, tombée alors dans le plus misérable état, asservie aux barons brutaux du Latium, donnait raison aux moines contre les évêques et méprisait les livres. Un concile épiscopal, réuni par les rois capétiens Hugues et Robert, reprocha à Jean XVI son ignorance ; ce pape croyait que Platon et Virgile étaient des sorciers, volant à travers les airs ou plongeant au fond des eaux. Gerbert, disciple des anciens, des rabbins juifs et des docteurs arabes, passa sans peine pour magicien. Glaber consent à lui accorder « un esprit très pénétrant et bien formé aux arts libéraux. » Mais il s’empresse de signaler en lui le génie de l’intrigue et, l’art de faire adroitement sa fortune. Sans doute, lorsque, en 999, l’empereur Otton III éleva l’ancien écolâtre de Reims, son maître, au pontificat, un cri de stupeur courut de cloître en cloître, et plus d’un cénobite