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criant : « Mon bachelier, où est-il ? Où est mon bachelier? » Mais cette fois, il ne chercha point à tenter Raoul ; il faisait la chasse à un novice, nommé Thierri, « d’un caractère très léger, » qui, le lendemain, prit la clé des champs, rejeta l’habit et revint au siècle. Plus tard, touché de repentir, il retourna au couvent. La troisième rencontre de Glaber avec le démon eut lieu à l’abbaye de Moutiers, près d’Auxerre. La cloche achevait de sonner matines, et le chroniqueur, un peu las, somnolent, tardait à se lever; çà et là, dans le dortoir encore ténébreux, d’autres frères, dont la paresse était le péché mignon, dormaient très paisiblement, bercés par le chant de la cloche. A peine les derniers moines dociles à la règle furent-ils sortis, et au moment où Raoul se réveillait, un diable, toujours le même, bondit, tout haletant, en haut de l’escalier et vint s’appuyer au mur de la chambrée monacale, « les mains derrière le dos, » et criant : « c’est moi ! c’est moi qui reste avec ceux qui restent ! » Trois jours plus tard, l’un de ces frères, trop amis du tiède oreiller, s’échappait du couvent et passait six jours avec les séculiers, «partageant leur vie tumultueuse.» Mais il réintégra le cloître le septième jour, qui fut sûrement pour lui le jour du repos.

Quand un moine, chaque soir, en s’endormant, se demande s’il ne sera pas réveillé par un démon couleur de suie, cherchant la perdition d’une âme de bénédictin, le merveilleux lui devient sans peine un élément familier, l’air respirable, en quelque sorte ; la nature et la vie lui sembleraient vides si le miracle ne les pénétrait d’une façon constante. Un manichéisme inconscient, l’action parallèle de Dieu et de Satan, reparait à chacune des pages de Glaber. Les artifices du démon sont d’une invention très variée. Il entre dans un château, sur les pas d’une femme hérétique et suivi d’une troupe de diables en robes noires, à faces horribles ; il s’agit de séduire l’âme d’un écuyer moribond. Il crie au malade : « Me connais-tu, Hugo? Je suis le plus puissant des puissans, le plus riche des riches. Crois en moi et je t’arracherai à la mort, et tu vivras longtemps. » Puis il se vante d’avoir donné la couronne impériale, en Occident, à Conrad le Salique; en Orient, à Michel le Paphlagonien. Un signe de croix, fait par Hugo expirant, suffit pour chasser la bande infernale. Le démon attend les gens sur les ponts, près des monastères; un paroissien passe-t-il pour se rendre à l’office, il voit se dresser devant lui une tour; mais, devinant la présence du malin, il se signe, retourne très vite chez lui et meurt en paix quelques jours plus tard. Près du château de Joigny, trois années durant, il pleut des pierres de toutes grandeurs dans la maison d’un gentilhomme nommé Arlebaud ; bornes des champs ou des chemins, pierres arrachées à des édifices éloignés,