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soit une augmentation d’un quarantième. Seulement le malencontreux milliard objecte par les adversaires du projet porte à réfléchir. Qui se trompe dans ses calculs? Quel nombre approche le plus de la vérité ? A l’appui de sa thèse le gouvernement fournit beaucoup de chiffres, parmi lesquels il n’est pas très aisé de se reconnaître. Les économistes donnent des raisons. Ces économistes sont incorrigibles.

La pension ouvrière est constituée à la fois par les versemens combinés de l’ouvrier et du patron, et par la contribution de l’État. Si les versemens capitalisés sont loin d’avoir, au bout de trente ans, la valeur supputée par les comptes administratifs, ou bien la pension tombera à un taux dérisoire, ou bien, pour la maintenir dans les limites indiquées au projet de loi (300 à 600 fr.), l’État devra nécessairement s’imposer des sacrifices très supérieurs aux conjectures. Tout ce qui diminuera d’un côté les apports accroîtra de l’autre les charges budgétaires.

Liquidons d’abord à ce sujet une critique de détail, qui ne manque pourtant pas d’importance. Le nombre des journées de travail semble un peu arbitrairement établi. En le fixant à 290, en moyenne, croit-on avoir évalué, dans une mesure suffisante, les chômages inévitables, que viennent encore augmenter les obligations de la loi militaire? N’a-t-on pas omis spécialement l’influence des intempéries sur les travaux des campagnes, où les ministres ne font la pluie et le beau temps qu’aux époques d’élections? Moins l’ouvrier travaillera, moins il versera à la caisse, et plus forte en conséquence sera la différence payée par l’État pour que les pensions restent comprises entre 300 et 600 francs.

C’est sur le taux de capitalisation supposé que porte l’objection essentielle. Ici se retrouve l’hypothèse erronée qui a servi de base à tous les calculs. Non-seulement on ne tait pas entrer en ligne de compte l’abaissement progressif du taux de l’intérêt, quoique la logique l’exige dans une opération à lointaine échéance, mais encore on prétend capitaliser à 4 pour 100 pendant soixante dix-sept années, lorsque, dès aujourd’hui, le taux ordinaire des placemens solides n’excède guère 3 pour 100. Est-ce admissible? Une aussi grosse erreur compromet tout l’équilibre du système. Faudrait-il doubler ou tripler de ce chef les 100 millions prévus par le ministère ?

Autre mécompte probable quant au nombre éventuel des participans. L’exposé des motifs ne l’évalue qu’à trois millions d’ouvriers sur neuf. Pourquoi tant de modération dans ce calcul? L’État, qui fonde de si belles promesses d’avenir sur la loi future, ne négligerait assurément aucun moyen d’en généraliser l’application. D’après les dispositions du projet, chacun serait présumé implicitement