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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/638

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vouloir en réclamer le bénéfice. Pour y renoncer, au contraire, l’intéressé devrait faire une déclaration formelle par-devant le maire de la commune où il travaille. En outre, les sociétés de secours mutuels, les sociétés coopératives, les syndicats professionnels seraient expressément invités à unir leurs efforts pour « déterminer le travailleur à prélever sur son modeste salaire l’économie destinée à la constitution d’une retraite, pour vaincre ses résistances, lui donner des explications, lui faire valoir les avantages de la loi. » Ce sont les termes mêmes du texte officiel. Et l’on admet néanmoins que les deux tiers de la classe ouvrière échapperaient à ces puissantes influences. Redouterait-on d’avance un échec, ou craindrait-on de trop réussir? Singulière alternative, en effet : ou la loi ne réussit pas, et le but d’amélioration sociale est manqué; ou le succès dépasse toutes les espérances, et alors les dépenses dépassent aussi toutes les prévisions. Au lieu de trois millions de déposans, c’est neuf ou dix millions et plus peut-être, dont les versemens devraient être majorés à l’aide des ressources budgétaires. Car les calculs de l’administration laissent de côté une multitude de petits et d’humbles qui, pour n’être pas des ouvriers proprement dits, n’en ont pas moins de titres à la munificence des législateurs. Qu’en coûterait-il à l’État pour faire face à ses engagemens? Nous voilà bien près du milliard, sinon même au-delà.

Mais, pourquoi se montrer plus royaliste que le roi? Les auteurs du projet ne prévoient qu’un succès d’estime ; suivant eux, les deux tiers des ouvriers ne pourraient ou ne voudraient pas économiser le son des retraites. Soit. Pense-t-on sérieusement que ces millions de cigales, quand la misère et la vieillesse les auraient prises au dépourvu, se résigneraient, sans récriminations amères, à contempler de loin le repas frugal, mais assuré, des fourmis avec privilège du gouvernement? Loin d’être un gage d’apaisement social, comme on l’espère, et « de faire régner entre le capital et le travail une union que le passé n’a jamais connue, » la loi n’aboutirait qu’à créer dans l’avenir une spécialité de haines entre les prolétaires et les nouveaux rentiers du quatrième État. Pour conjurer des conflits menaçans, faudrait-il finir quelque jour par décréter l’égalité des travailleurs devant la rente? Qu’on ne se hâte pas trop de crier au paradoxe. Il n’est pas facile de s’arrêter sur certaines pentes. Mais tous les calculs se trouveraient par là confondus. En effet, plus de versemens antérieurs, plus de cotisations ouvrières et patronales, qu’il eût suffi à l’État de majorer, partant plus de capitalisation possible, c’est-à-dire plus de ressources acquises pour payer les deux tiers des retraites. L’Etat les verserait, les majorerait et les paierait à la fois sur les recettes