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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/646

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Que chaque annuité budgétaire pourvoie donc à l’annuité des pensions. Tout le monde acquitte l’impôt direct ou indirect. Que tout le monde aussi touche la même retraite, à partir de cinquante-cinq ans. Telle serait, dans ses grandes lignes, l’économie du contre-projet supposé.

Quelles charges nouvelles aurions-nous à supporter de ce chef? Sur une population totale de 38 millions 1/2 d’habitans, la France compterait 8,200,000 retraités de toutes conditions[1]. Si le chiffre de la pension viagère était fixé à 370 francs pour les hommes, et à la moitié, soit 185 francs pour les femmes, il faudrait inscrire au budget une dépense annuelle de 2 milliards 275 millions.

On ne manquera pas d’objecter que cette somme est infiniment supérieure à celle qu’exigerait l’adoption de la loi gouvernementale. Sans doute, si l’on s’en rapporte aux calculs administratifs. Mais la différence n’est pas énorme si l’on veut bien admettre, d’après les autres calculs exposés plus haut, que l’État, par la fatalité des choses, ayant épuisé les fonds versés dans ses caisses, se verrait obligé finalement, pour faire honneur à sa signature, de recourir à l’impôt et de lui demander environ 2 milliards. La balance serait même tout en faveur du contre-projet, pour peu que l’on tînt compte de la perte incalculable de richesses qu’il épargnerait au pays. Valeur négative, dira-t-on ; laissons Molière constituer à Mariane une dot de toutes les dépenses qu’elle ne fera point. Valeur très positive, au contraire, et très réelle ; car, au lieu d’être paralysés pendant trente ans, les capitaux disponibles, abandonnés à leur libre jeu, trouveraient spontanément leur emploi utile et resteraient une source féconde de prospérité. A frais égaux, le contre-projet conserverait encore une supériorité manifeste : il produirait son plein effet sur-le-champ, tandis qu’avec les combinaisons ministérielles la seule consolation immédiate offerte aux ouvriers est l’acheminement vers un but lointain qu’atteindront peu de quadragénaires et à peine quelques quinquagénaires actuels. En attendant, on commence par prendre au travailleur son argent, ce qui l’étonne.

L’universalité des retraites, sans distinction de fortune, soulèvera de vives critiques. D’aucuns y verront une anomalie entachée d’injustice. Pourquoi cela? Nous avons le suffrage universel et le service militaire universel ; nous aurions aussi la retraite universelle. Le principe d’égalité se recommande ici par un cachet fort honnête de progression à rebours. Car le chiffre de la pension étant uniforme pour tous, le secours et le profit relatifs pour chacun se trouveraient

  1. Ces chiffres ont été établis d’après la table de mortalité de la caisse nationale des retraites annexée au projet de loi.