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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/654

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à développer dans chaque génération les facilités viagères d’existence et de bien-être.

Notre organisation économique et sociale actuelle se prête peut-être mieux qu’on ne le suppose à la réalisation de cet idéal. Quelles que soient encore ses imperfections et ses lacunes, elle a fait ses preuves. Les progrès accomplis depuis cent ans sont un gage de confiance et doivent éclairer la marche vers l’avenir. N’avons-nous pas, dès aujourd’hui, les encourageans exemples de groupes importans où l’ordre et la concorde maintiennent une prospérité durable ? Qui nous empêche de généraliser le bien éprouvé dont nous sommes les témoins sympathiques ? Ce serait un non-sens que de s’engourdir dans l’immobilité stérile du statu quo. Ce serait folie que de faire table rase du présent et d’enlever ainsi aux améliorations futures leur seule base solide et leur point d’appui. En tout état de cause, les qualités morales sont les vraies garanties de succès et portent des fruits immédiats. Rien n’y supplée, pas même les capitalisations de fonds les plus ingénieuses dont le temps reste le facteur indispensable. Le temps c’est de l’argent, comme disent les Américains et les Anglais ; ajoutons pour conclure, la moralité c’est de l’or.


III.

Si le projet de loi sur les retraites ouvrières n’offre encore qu’en perspective une alarmante collection d’impossibilités et de périls, la question des syndicats nous met face à face avec des dangers dont la gravité saute aux yeux. L’omnipotence, en principe et en fait, d’une majorité quelconque d’individus réunis à n’importe quel titre ou quelle occasion, dans n’importe quel heu, et décidant sur n’importe quoi, l’obligation pour les minorités, sous peine de châtiment, d’obéir à ces majorités d’ordre privé, voilà en deux mots ce que contiennent les revendications syndicales. Peut-on les laisser passer sans conteste ? Assurément non. Il ne s’agit pas seulement des intérêts du travail et de l’industrie ; c’est la liberté individuelle qui se trouve enjeu. Puis comment concilier de pareilles doctrines avec le maintien de l’unité et de la souveraineté nationales ?

Que la majorité d’une réunion, d’une association ou d’un syndicat vote la grève ou prenne telle décision qu’elle voudra, c’est son affaire ; mais qu’elle puisse imposer ses volontés à la minorité opposante, cela n’est pas tolérable. Chaque ouvrier est libre de ne pas aller à l’atelier ; mais chaque ouvrier est libre également d’y aller si cela lui plaît. L’empêcher aussi bien que le forcer de s’y rendre serait empiéter gravement sur la liberté d’autrui, et faire acte d’autorité illégal autant qu’illégitime sur des citoyens