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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/655

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libres. Le droit à l’oppression mutuelle n’existe pas plus pour les ouvriers que pour les autres. Vérités banales, qu’il semble superflu de répéter, tant elles sont l’évidence même. Hérésies néanmoins selon les nombreux adeptes du nouveau dogme syndical; comme si je ne sais quel prestige d’un pouvoir corporatif mystérieux magnétisait les foules enthousiasmées de soumission.

La famille est la corporation, la personne morale collective la plus forte et la plus naturelle que les lois humaines reconnaissent; pourtant la puissance du chef ou du conseil de famille est singulièrement restreinte et bientôt annulée par l’âge des enfans, sauf dans des cas très exceptionnels. Et l’on admettrait qu’un corps de métier constituât une personne morale jouissant d’une autorité supérieure à celle de la famille même, et investie du privilège exorbitant d’exiger l’obéissance passive à ses décrets! Sur quels sophismes s’appuieraient des prétentions aussi abusives, aussi contraires aux simples notions du bon sens. et de l’équité?

Précisément, diront quelques-uns, la famille est une corporation naturelle et fermée, dont chacun fait partie par devoir et par droit de naissance; le syndicat est une corporation civile, ouverte à tous ceux qui veulent y entrer. Dès lors, pourquoi parler d’oppression? Chaque ouvrier, en s’affiliant à un syndicat, ne s’engage-t-il pas librement d’avance à se soumettre aveuglément aux décisions de la majorité? A la bonne heure. Mais un semblable engagement est entaché de nullité. Les lois ne permettent à personne d’aliéner son indépendance électorale, ni de vendre son vote, ni de renoncer à sa liberté individuelle, sous quelque prétexte que ce soit. Ces principes s’appliquent parfaitement en matière de syndicats. Il ne saurait être licite à un citoyen, dans ce cas pas plus que dans tout autre, d’abdiquer sa responsabilité comme en servitude volontaire. Un contrat de ce genre serait déclaré caduc par les tribunaux. La faculté de se syndiquer n’implique pas le privilège d’échapper aux prescriptions de la loi commune.

Il ne serait pas mauvais non plus de savoir au juste par qui se trouverait exercée cette sorte de dictature que les doctrines nouvelles tendent à établir. Par les syndicats, les syndicats ouvriers s’entend, le mot répond à tout; mais la chose demanderait à être éclaircie. On ne peut se défendre de quelque méfiance contre la plupart des associations ou réunions analogues qui donnent le mot d’ordre à des milliers de travailleurs, et souvent le reçoivent elles-mêmes on ne sait d’où. Rarement elles sont l’expression exacte et régulière de la majorité réelle du corps d’état qu’elles se targuent de représenter. Les grèves de ces derniers mois en ont fourni de frappans exemples. Un meeting de 4 à 5,000 syndiqués,