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marques de respect, et c’est à eux qu’il confie l’éducation de ses nombreux enfans. De leur cité, ils s’effacent devant lui et le considèrent comme le vrai chef de leur maison. Il s’est réservé au nord-ouest de Sikasso un vaste lougan, dont les produits sont affectés à son usage particulier. Chaque année, au moment des semailles, tous les membres de la famille des Taraoulé sortent de Sikasso et, en signe de vasselage, vont travailler ensemble au lougan de Tiéba. Il assiste à cette cérémonie, et pour que leur condescendance leur coûte moins, il donne lui-même quelques coups de bêche.

Les derniers Taraoulé furent des conquérans, les premiers avaient été des voyageurs, des commerçans, des diulas. Tiéba paraît tenir des uns et des autres. En vrai diula, il a les mains prenantes, un orgueil de propriétaire, et il est aussi fier de montrer ses fermes qu’un paysan parvenu. « Tu verras mon pays, disait-il au capitaine. Il y a des montagnes, des bois, des ruisseaux dont l’eau est limpide toute l’année, et tout le temps j’ai des pistaches fraîches et du maïs nouveau. » Mais s’il est âpre au gain, s’il a la passion de s’arrondir, la gloire l’attire autant que le butin. Un jour que M. Quiquandon lui prêchait la clémence et lui représentait que l’oubli des injures est la plus royale des vertus : « Tes conseils seront toujours suivis, répondit-il, car si j’ai demandé au colonel de m’envoyer des blancs, c’est pour apprendre d’eux à être vraiment un grand roi. »

Malheureusement, comme tous les grands rois, il aime trop la guerre ; rien ne lui plaît tant que de tenir la campagne, et à peine revenu d’une expédition, il en commence une autre. Soldat, fils de soldat, il est d’une grande bravoure personnelle; il a été blessé dix-huit fois, et il s’en souvient volontiers. Mais il n’est pas, comme la plupart des conquérans noirs, un de ces massacreurs, un de ces brûleurs de villages qui détruisent et tuent à la seule fin de se procurer des sensations délectables. Il n’est pas non plus de la race des convertisseurs farouches. « Samory, disait-il un jour, veut obliger tout le monde à faire salam; il coupe la tête à tous ceux qui refusent. Chacun doit être libre. Chez moi, quiconque veut faire salam fait salam, quiconque veut boire du dolo boit du dolo; je n’en bois pas, mais mon frère Khassa en boit et nos pères en buvaient. »

On peut courir longtemps le monde avant d’y rencontrer un musulman exempt de tout fanatisme. Un Dieu unique, qu’il s’appelle Allah ou Iahveh, est toujours un Dieu jaloux; lisez l’Ancien Testament du commencement à la fin, et vous verrez que la tolérance est le seul crime qui ne trouva jamais grâce devant l’Éternel. Mais ce qui est plus rare encore dans l’Afrique musulmane, c’est un souverain qui n’est pas l’esclave de ses préjugés et de ses soupçons, un souverain capable de placer à propos sa confiance. Malgré les représentations, les remontrances de ses conseillers, à peine eut-il connu M. Quiquandon,