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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/697

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dit-il en substance, pour vendre ou pour acheter. Je suis un chef envoyé pour te saluer au nom des blancs qui sont dans l’ouest et qui te demandent d’être notre ami. Notre chef serait heureux de se lier d’amitié avec un grand roi tel que toi. Nos diulas vous apporteraient de l’argent et des étoffes, vous nous donneriez en retour ce que vous avez de trop. Nous t’enverrions souvent des cadeaux, et nous deviendrions plus grands et plus forts les uns par les autres. » Le docteur convient lui-même que sa harangue fut trop longue, et, qu’au moment d’aborder la question du traité à signer, ayant fait une pause, il eut le chagrin de voir le naba se lever précipitamment et rentrer chez lui, en disant: « c’est bien, j’ai compris.» Le naba d’Ouaggadougou est le plus disparaissant des hommes.

Le docteur attendit longtemps sa troisième audience. Bocary lui prodiguait les attentions gracieuses, lui envoyait des œufs, du lait, faisait prendre des nouvelles de sa santé. Il avait autorisé une de ses filles, nommée Baouré, à faire au Français de fréquentes visites, et il lui disait quelquefois: « Comment va ton blanc? Que dit-il de nouveau? » Baouré aime beaucoup le dolo et le dolo la rend expansive. Elle engageait le docteur à ne pas se décourager. Elle lui représentait que la patience est au Mossi la première et la plus utile des vertus, que la précipitation gâte les affaires ; que se hâter, c’est vouloir tout perdre. Elle lui représentait aussi que les blancs passent pour jeter des sorts. On avait remarqué que, depuis l’arrivée de la mission, il n’y avait point eu de tornade dans la province d’Ouaggadougou ; que les champs étaient secs et les moissons en danger de périr. « Si tu peux faire pleuvoir, ajoutait Baouré, donne-nous la pluie. » Elle insinuait que ce serait un coup de maître.

Grâce à ses longs et instructifs entretiens avec cette aimable femme, dont la seule faiblesse est d’aimer trop à boire, M. Crozat savait presque jour par jour tout ce qui se passait dans la case royale. Le naba ne demandait pas mieux que de devenir par écrit l’ami d’un grand chef blanc dont il se promettait de recevoir beaucoup de cadeaux. Son rêve était de posséder un bonnet rouge et un grand sabre. « Signons, pensait-il, il en coûte peu, et j’aurai mon bonnet. » Mais ses conseillers, ses confidens, ses ministres multipliaient les objections, les difficultés. Ils sentaient bien que le jour où le chef blanc prendrait pied dans le Mossi et se mêlerait de donner des conseils à leur roi, leur règne serait fini. Le naba avait d’interminables discussions avec ses marabouts. Ils lui disaient : « Si tu signes, c’en est fait de toi, ta mort est proche. Si ton nom va au pays des blancs, ils te jetteront un sort, et il ne tiendra qu’à eux de te tuer quand ils voudront. »

Les nabas proposent et les marabouts disposent. « Leur fromage est bon, dit le docteur; ils tiennent à le conserver, et ils le défendent. » Ces marabouts du Mossi sont, paraît-il, aussi ignorans et aussi