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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/698

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sots que fourbes et rapaces. L’un d’eux éprouva un vif étonnement en découvrant que le docteur n’avait pas, comme le commun des blancs, la paupière fendue de haut en bas. Ils n’ont d’autres livres qu’une copie altérée, tronquée du Coran, qu’ils lisent et relisent sans y rien comprendre. Leur principale fonction, très lucrative, est de fabriquer des amulettes, de confectionner d’invincibles gris-gris ; on vient leur en demander de très loin, et ils ne font le voyage de La Mecque que dans l’espérance d’en rapporter des recettes de magie. Aucune affaire ne se conclut au Mossi sans qu’ils y interviennent; ces augures ont un droit de veto. Pour mieux tenir le naba, pour le soustraire à toute autre influence que la leur, ils lui ont persuadé qu’il ne saurait recevoir aucun étranger dans l’intérieur de sa maison sans faire perdre toute leur vertu aux innombrables talismans dont elle est garnie. Nous avons tous nos chagrins. Ce qui chagrine les marabouts du Mossi, c’est que, malgré toutes leurs recherches, ils n’ont pas réussi à découvrir le nom de la mère de Moïse. Ce nom est pour eux l’universel talisman, « Les blancs, disent-ils, le connaissent et le cachent avec soin ; c’est ce nom qui les rend forts. »

Les marabouts avaient décidé dans leur profonde et égoïste sagesse que leur souverain ne signerait aucun traité. Bocary fit dire au docteur Crozat que, quoique roi du Mossi, il ne pouvait engager toutes les provinces de son royaume sans les consulter, que ses prédécesseurs n’avaient jamais signé aucun papier, qu’il avait pris l’avis de quatre vieillards d’Ouaggadougou, dont le plus jeune avait plus de cent cinquante ans, et que tous les quatre l’avaient détourné d’une démarche qu’ils traitaient d’innovation téméraire et dangereuse, qu’au surplus les écritures sont de vaines formalités, que la parole d’un chef est texte écrit, que le grand naba Bocary déclarait octroyer au chef des Français son amitié pleine et entière, que c’était une affaire en règle. Notre envoyé tâcha de lui démontrer que ses ministres étaient de mauvais conseillers et qu’il comprenait mal ses intérêts; il ne voulut entendre à rien, et le docteur reprit mélancoliquement la route de Sikasso, escorté par la consolante Baouré, qui le reconduisit jusqu’à sa première étape. En le quittant, elle eut soin de lui rappeler que son père aimait beaucoup les bonnets rouges et encore plus l’argent.

Si le docteur Crozat n’a pas rapporté de son voyage un de ces petits papiers auxquels on attribue aujourd’hui une importance peut-être exagérée, il n’a pas perdu son temps. Il a recueilli, tout le long de sa route, de curieux renseignemens, d’utiles informations, et c’est grâce à lui que nous connaissons le Mossi. Dans toutes les contrées du monde, la vérité est difficile à découvrir, elle habite le fond des puits; mais il semble que nulle part les puits ne soient si profonds que dans le continent noir. L’Afrique est restée le pays du mensonge, la bugiarda Africa de l’Arioste. Accorder quelque créance aux récits des indigènes,