Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ce que j’aurais voulu que M. Biré nous montrât surtout dans son livre, dont il n’eût eu, comme on le voit peut-être maintenant, sans en presque rien retrancher, qu’à changer ou à intervertir la disposition. Tel qu’il l’a conçu, je ne dis pas d’ailleurs qu’il en soit moins piquant, ni même moins utile. Les anecdotes caractéristiques y abondent : sur Hugo lui-même, sur les circonstances de la publication de ses œuvres, sur ses familiers, sur ses contemporains, sur ses rivaux de gloire et de popularité. On ne connaît pas mieux que M. Biré l’histoire secrète du romantisme; on n’est pas plus curieux de l’information précise et du document authentique ; on n’est pas plus heureux en trouvailles. M. Adolphe Jullien, dont nous attendons impatiemment l’ouvrage sur le Romantisme et l’éditeur Renduel, lui a communiqué les « traités » de Victor Hugo, et M. Biré en a tiré des renseignemens du plus vif intérêt. Une famille d’Angers, la famille Pavie, dont les lecteurs de cette Revue ont des raisons particulières de connaître le nom, lui a permis de puiser librement dans ses « cartons, » tous pleins de lettres d’Hugo, de Mme Hugo, de Sainte-Beuve, de David d’Angers... qui encore ? Et de tous ces documens, choisis et présentés avec son industrie habituelle, contrôlés par la rigueur de sa méthode, commentés enfin avec son ordinaire malice, M. Biré a formé les deux volumes les plus amusans,.. si l’on n’éprouvait toujours quelque tristesse de ne pouvoir estimer ni aimer un grand poète autant qu’on l’admire. Qu’il nous pardonne après cela si nous avons trouvé que la littérature n’y tenait pas assez de place, et qu’au contraire de ce que nous attendions, les œuvres n’y servaient que de prétexte à raconter l’histoire de la vie d’Hugo!

Il est entre autres une petite question que j’aurais bien aimé qu’il effleurât au moins : c’est celle de la correction de la langue et de « l’impeccabilité » du style de Victor Hugo. Dans ses plus grands excès, Victor Hugo passe pour avoir toujours respecté la langue, et tandis que l’on se complaît à relever chez Lamartine des négligences ou des incorrections qui n’en sont point souvent, il est admis qu’on en chercherait vainement dans l’œuvre entière d’Hugo. Qu’en pense M. Biré ?

Que pense-t-il de cette phrase, qu’il a lui-même citée pour en faire la conclusion de son livre : « Il est, — dit Hugo dans la préface de l’édition définitive de ses Œuvres, — il est un don suprême qui se fait souvent seul, qui n’en exige aucun autre, qui quelquefois reste caché, et qui a d’autant plus de force qu’il est plus renfermé. Ce don, c’est l’estime. » Oserai-je avouer que je n’entends pas bien ce que c’est que ce don, « qui se fait souvent seul, » et qui, tout « suprême » qu’il soit, cependant « n’en exige aucun autre. » Mais pourquoi a-t-il « d’autant plus de force » qu’il est « plus renfermé? » c’est ce que j’entends