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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/781

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Ney. Ils étaient confians, tandis que leurs adversaires semblaient atterrés; on disait le sénat tremblant, les cocardes blanches tombant des chapeaux par milliers. On vint appeler Marmont; un moment après il rentra pâle, l’air égaré : « Tout mon corps a passé cette nuit à l’ennemi! « Il prit son sabre, sortit; on ne le revit plus. Totum corpus était expliqué. Il est vrai que Marmont s’était engagé avec le prince de Schwarzenberg; mais il avait été convenu depuis que, puisque les commissaires venaient négocier au nom de l’armée entière, le traité particulier de Marmont n’aurait pas de suites; il en eut, par la faute du général qui commandait à Essonne en l’absence de son chef; Souham, appelé à Fontainebleau, craignit que l’empereur, au courant de la fatale intrigue, ne le fit arrêter, et précipita la catastrophe. C’en fut une et la dernière ; atterrés à leur tour, les commissaires sentaient le terrain, jusque-là solide, trembler et s’entr’ouvrir sous leurs pieds. L’audience du soir fut décisive; le tsar déclara le roi de Rome irrévocablement écarté. Qu’allait-il advenir de Napoléon? Il conservait le titre de souverain; on lui donnait l’île d’Elbe. Alexandre eut un beau langage : « J’ai été autrefois son plus grand admirateur; dès ce moment je cesse d’être son ennemi et je lui rends mon amitié. Dites-lui, messieurs, s’il ne veut pas de cette souveraineté, et dans le cas où il ne trouverait d’asile nulle part, dites-lui qu’il vienne dans mes états; il y sera reçu en souverain ; il peut compter sur la parole d’Alexandre. »

Tout était fini. Quand il fallut rapporter à Fontainebleau la fatale nouvelle, Ney se déroba ; il avait d’avance et publiquement adhéré à la révolution qui venait de se faire. Le traité négocié par les commissaires fut signé le 11 avril; le soir même, l’acte d’abdication fut remis entre les mains du gouvernement provisoire. M. de Talleyrand avait préparé pour ce dénoûment une mise en scène théâtrale; l’assistance était nombreuse; il s’avança vers les commissaires : « Maintenant que tout est consommé, nous vous demandons, messieurs, votre adhésion au nouvel ordre de choses établi. » Ney s’écria qu’il l’avait déjà donnée : « Aussi n’est-ce pas à vous que je m’adresse, c’est aux ducs de Tarente et de Vicence. » L’un et l’autre refusèrent d’un ton sec. « Talleyrand, dit Macdonald, ne pouvait changer de couleur ni pâlir, mais sa figure s’enfla, comme bouffie et prête à éclater : « Mais, monsieur le maréchal, il est important pour nous d’avoir votre adhésion personnelle, car elle doit exercer une grande influence sur l’armée et sur la France; tous vos engagemens sont maintenant tenus et vous êtes dégagé. — Non, et personne ne doit savoir mieux que vous que tant qu’un traité n’a pas été ratifié, il peut être annulé ; mais lorsque cette formalité sera remplie, je saurai ce que j’aurai à faire. »

Le lendemain, 12 avril, Macdonald et Caulaincourt retournèrent