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à Fontainebleau afin de recevoir la ratification de l’empereur. Il était calme et les remercia affectueusement ; il remarqua l’absence de Ney: « Est-ce que le maréchal n’est pas revenu avec vous? » On ne répondit pas. Il dit à Macdonald qu’il lui demandait de venir le lendemain matin à neuf heures.

Le lendemain, à neuf heures, Macdonald se présenta; les ducs de Vicence et de Bassano étaient entrés avant lui; l’empereur, vêtu d’une robe de chambre de basin, les jambes nues, en pantoufles, était assis devant la cheminée, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains, profondément absorbé. Quand Macdonald avait été annoncé, il n’avait pas entendu; après quelques minutes d’attente silencieuse, Caulaincourt l’avertit doucement; il parut sortir d’un rêve, se leva, tendit la main au maréchal. Il avait le visage altéré, le teint jaune, olivâtre. « Est-ce que Votre Majesté est souffrante? — Oui, j’ai été fort indisposé cette nuit. » Il se rassit, reprit sa première attitude et se remit à songer. Les trois assistans échangeaient des regards attristés. Enfin Caulaincourt crut devoir de nouveau l’avertir. Cette fois, il se leva d’un air plus dégagé : «Je me sens un peu mieux. Duc de Tarente, je suis on ne peut plus touché et reconnaissant de votre conduite et de votre dévoûment. Je vous ai mal connu; on m’avait prévenu contre vous. J’ai comblé de faveurs tant d’autres qui m’ont délaissé, abandonné; vous, qui ne me deviez rien, m’êtes resté fidèle. J’apprécie trop tard votre loyauté et je regrette sincèrement d’être dans une situation à ne pouvoir vous en témoigner ma reconnaissance que par des mots; j’étais autrefois riche et puissant ; maintenant je suis pauvre. — Je me flatte, sire, que Votre Majesté m’estime assez pour ne pas croire que, dans votre position actuelle, j’accepterais une récompense; la conduite que j’ai tenue était tout à fait désintéressée. — Je le reconnais ; mais vous pouvez, sans blesser votre délicatesse, accepter un cadeau d’un autre genre : c’est le sabre de Mourad-bey que j’ai porté à la bataille du Mont-Thabor; conservez-le en souvenir de moi et de mon amitié pour vous. » Macdonald remercia l’empereur. « Nous nous jetâmes, dit-il, dans les bras l’un de l’autre en nous embrassant avec effusion. Il m’engagea à venir le voir à l’île d’Elbe; enfin nous nous séparâmes. On me remit tous les documens dont je devais être porteur, et depuis lors je ne revis jamais Napoléon. »


IX.

Macdonald était libre ; rien ne l’empêchait plus d’accepter le changement de régime qui venait de s’accomplir ; il l’accepta franchement et loyalement : « Vous remarquerez, mon fils, que j’ai par la suite