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et de personnalités. C’est même la tendance actuellement dominante en psychologie que de multiplier les personnages du drame intérieur, de représenter notre tête comme un théâtre où jouent une foule d’acteurs vraiment différens, ayant chacun un moi plus ou moins rudimentaire. Il ne faudrait pas, d’une sorte de mythologie mono-animiste, soutenue par les anciennes écoles, tomber dans une mythologie poly-animiste. Nous sommes loin de nier la désagrégation de l’idée du moi sous l’influence de l’hystérie, de la folie, de l’hypnotisme, et nous allons montrer tout à l’heure en quoi consiste cette désagrégation, mais occupons-nous d’abord des cas moins extraordinaires.

M. Dessoir, dans son livre intéressant du Double moi (Das Doppel Ich), cite les actions automatiques comme preuve de l’existence en nous d’une double conscience. On peut, dit-il, compter des pas, additionner des nombres, jouer des airs de musique très compliqués, lire à haute voix avec le ton convenable, tout en ayant l’esprit absorbé ailleurs et sans savoir ce qu’on fait : ces actions appartiennent donc à une « conscience inférieure. » — « Chaque homme, conclut M. Dessoir, porte en soi les germes d’une double personnalité.» — N’est-ce pas là chercher bien loin l’explication des faits d’habitude? Quand on apprend à jouer du piano, on sait mal diriger vers le doigt la force nerveuse, et comme il y a une série de petits mouvemens à enchaîner, on est obligé de faire pour chacun de ces mouvemens un acte d’attention réfléchie : on ressemble à l’aiguilleur qui, au point de rencontre de deux voies possibles, est forcé de faire attention pour diriger le train dans la bonne voie. Mais quand nous avons répété une action un grand nombre de fois, les rails sont orientés et il n’y a plus d’autre embranchement possible ; l’aiguilleur, — je veux dire la réflexion, — devient inutile : on n’a besoin que de donner la première impulsion, et le reste se fait tout seul. Ou plutôt, nous l’avons dit, ce sont les centres de la moelle et les centres inférieurs du cerveau qui s’en chargent. Il reste bien des sensations sourdes dans le cerveau et probablement dans la moelle épinière, mais l’ensemble de ces sensations ne constitue point un vrai moi séparé de notre moi.

M. Dessoir va jusqu’à prétendre que le moi des rêves n’est pas celui de la veille. Comment alors nous souvenons-nous? Comment disons-nous : j’ai rêvé telles ou telles folies? De même, selon M. Dessoir, le somnambulisme artificiel pourrait être défini : « l’état de prédominance du moi secondaire, artificiellement provoqué. » Nous ne croyons pas qu’il y ait besoin d’avoir véritablement un second moi à sa disposition pour être hypnotisé : l’hypnotisme est la paralysie passagère d’un certain nombre de centres