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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/803

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cérébraux ; c’est un engourdissement, un éblouissement, comme on voudra; c’est donc bien une sorte de maladie du moi, mais ce n’est pas nécessairement la production ou l’évocation d’un second moi.

M. Dessoir, à l’appui de son opinion, a réuni de curieux documens sur le miroir magique. Depuis l’antiquité, il existe certaines personnes qui aperçoivent des visions dans un miroir, et ces visions, selon elles, répondent à des réalités présentes, passées ou même futures. Le miroir magique peut être remplacé par un verre d’eau, comme celui de Cagliostro, par une carafe, par un morceau de cristal de roche, par un diamant, en un mot par un objet brillant. En fait, la personne nerveuse et exaltée qui consulte le miroir ou le cristal s’hypnotise elle-même à demi, tout au moins se surexcite le cerveau et arrive ainsi à se donner de véritables hallucinations. Rien de plus naturel pour des imaginations exaltées. George Sand enfant, au coin de la cheminée, contemplait le garde-feu et, dans les reflets de la flamme, apercevait des figures et des scènes. Il est des personnes douées du pouvoir de se donner à elles-mêmes des visions d’un réalisme hallucinatoire. On conçoit aussi que, sous une excitation demi-hypnotique, des souvenirs réels surgissent, en forme d’apparition, des profondeurs de la mémoire. Miss Goodrich avait détruit une lettre : quand elle veut répondre, elle ne se rappelle plus l’adresse; après de vains efforts, elle consulte son cristal et bientôt elle a la vision des mots Hibb House, en lettres grises sur fond blanc. Elle se risque à envoyer sa lettre à cette adresse, et bientôt elle reçoit la réponse avec cet en-tête : Hibb House, en lettres grises sur fond blanc. M. Dessoir veut voir là une preuve de l’activité indépendante du moi souterrain s’exerçant sans que le moi supérieur le sache. Il nous semble au contraire que la demoiselle anglaise avait parfaitement conscience de chercher une adresse, et que cette adresse, par l’effet d’une surexcitation nerveuse, lui est revenue tout d’un coup à l’esprit. C’est ce qui nous arrive chaque jour ; seulement, nous ne nous donnons pas pour cela une hallucination en concentrant nos yeux et notre imagination sur un cristal magique.

M. Alfred Binet a décrit ici même une expérience bien connue et très importante chez les hypnotisés : celle des « hallucinations négatives. » On suggère à une personne hypnotisée que, revenue à l’état normal, elle ne verra plus tel objet ou tel individu présent, et effectivement, après son réveil, elle ne le voit plus. De là nos psychologues se sont empressés de conclure : — Pour que l’objet présent cesse d’être vu par la personne normale, il faut qu’il soit reconnu par un autre personnage subconscient, comme étant l’objet