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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/804

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qu’on a ordonné de ne pas voir ; c’est donc le personnage subconscient, développé par l’hypnotisme, qui, après le réveil, « prend pour lui la vue de cet objet » dont il a conservé le souvenir[1]. — Selon nous, il ne faut pas multiplier ainsi les êtres sans nécessité, et on ne doit s’écarter que le moins possible des explications ordinaires pour expliquer l’extraordinaire. Est-il bien vrai qu’une somnambule réveillée ne voie aucunement la personne qu’on lui a suggéré de ne pas voir? Elle ne veut'' pas la voir, ni surtout reconnaître qu’elle la voit, tout comme il y a des gens qui se refusent à l’évidence. Elle est persuadée qu’elle ne peut pas et ne doit pas voir ; tel est l’état de sa volonté prévenue. Cet état, à son tour, réagit sur la perception des objets environnans : il fait abstraire systématiquement telle partie, tel objet au profit des autres ; l’intelligence devient attentive à tout, excepté à cet objet. N’oublions pas que, pour la psychologie contemporaine, une perception est toujours une « synthèse de sensations et d’images » : quand vous apercevez une orange, vous n’avez que la sensation actuelle d’un disque coloré, mais vous liez à cette sensation telles images et tels souvenirs : forme sphérique, solidité, odeur et saveur. De même, pour reconnaître une personne, il faut faire une série de synthèses, qui rattachent certains souvenirs à l’ensemble des sensations actuelles. Chez l’hypnotisée, il y a après le réveil la forte persuasion de l’absence nécessaire d’une personne, jointe à l’exaltation de toutes les autres sensations ; de là un trouble de la synthèse, qui rejette dans la pénombre l’image réelle de la personne présente, l’efface même par une sorte de paralysie partielle. La mère qui dort près du berceau de son enfant fait abstraction de tout, excepté de la voix de son enfant : elle se suggère à elle-même une sorte « d’anesthésie systématisée, » au profit d’une seule idée qui efface le reste. Si, dans tous les faits de ce genre, la besogne était réellement partagée entre deux personnalités distinctes, la communication entre les deux serait inconcevable; on ne voit pas comment, parce que la personne inconsciente verrait l’objet qu’on a suggéré de ne pas voir, la personne consciente pourrait cesser de l’apercevoir : de ce que vous voyez un arbre que je regarde, il n’en résulte point que je cesse de le voir. On est donc obligé d’expliquer l’absence de vision dans la personne consciente elle-même, à laquelle il faut toujours revenir.

Dans ces difficiles problèmes, la nouvelle école de psychologie fait appel beaucoup trop tôt aux décompositions du moi, pour expliquer des phénomènes dont une bonne partie rentre dans

  1. M. Héricourt.