Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque image ou groupe d’images conserve toujours un rapport réel à l’individu vivant, un lien quelconque avec la masse du cerveau et de l’organisme.

Dans les états de désagrégation intellectuelle, ce lien n’est plus le même qu’à l’état normal : il a lieu par d’autres voies de communication et d’autres intermédiaires; quoique subsistant toujours, il est affaibli au point d’être pratiquement comme s’il n’était pas. De là une apparente mutilation de la personne, parallèle à la scission du mécanisme cérébral. Des groupes d’images semblent prendre une vie à part et un développement autonome, qui en fait comme un autre moi dans le moi. Supposez que, dans un piano, toutes les notes touchées soient rendues silencieuses par une sorte d’inhibition exercée sur les cordes vibrantes, mais qu’on entende les harmoniques qui accompagnent d’ordinaire la note principale. Quand on frappera l’ut, on n’entendra pas l’ut, mais on entendra son octave, sa tierce, sa quinte, etc.; on aura une série de murmures d’harmoniques qui auront pris le rôle des notes principales, tandis que les notes principales auront pris le rôle affaibli et indistinct des harmoniques. Au reste, c’est ce qui aurait lieu pour une oreille incapable de percevoir les sons ayant trop d’intensité, capable au contraire de percevoir les sous d’une intensité aussi faible que celle des harmoniques. Une sonate de Beethoven serait ainsi métamorphosée en une tout autre série de notes et d’accords, liée cependant à la première par des relations déterminées. Un phénomène analogue se passe dans la conscience de l’hypnotisé : il y a paralysie pour certaines perceptions et idées qui, à l’état de veille, sont dominantes; il y a, au contraire, conscience des sous harmoniques qui accompagnaient le son principal. On a alors une transposition étrange des états de conscience, qui conservent cependant entre eux des rapports logiques. Quand les notes principales redeviennent conscientes, leur intensité relative rend imperceptibles les notes harmoniques, qui rentrent alors dans une subconscience mal à propos confondue avec une vraie inconscience. Au contraire, le somnambulisme met-il l’étouffoir sur les notes principales, toutes les notes subconscientes deviennent seules conscientes. Il suffit d’un petit ressort pour lever ou abaisser les étouffoirs et pour changer ainsi toute la symphonie. Un mécanisme plus complexe peut même, au lieu d’une succession, amener une coexistence des deux harmonies diverses et des deux séries de mouvemens musculaires corrélatifs : c’est ce qui a lieu chez ces demi-somnambules qu’on appelle les médiums. En un mot, il se produit des apparences de personnalités successives ou simultanées dans un même être vivant. Ces personnalités, ces rôles pris au sérieux