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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/808

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hystérique ayant un membre insensible, et il lui dit : — Après votre réveil, vous lèverez le doigt pour dire oui, vous le baisserez pour dire non, lorsque je vous interrogerai. — L’hystérique réveillée, M. Jules Janet la pique un certain nombre de fois à une de ses régions insensibles. — « Sentez-vous quelque chose? » — Non, répond le personnage conscient et éveillé ; mais en même temps, suivant le signal convenu avec la partie subconsciente de la personne, avec celle qui avait été précisément en action dans l’hypnotisme, le doigt se lève pour dire oui et indique même exactement le nombre de piqûres faites. C’est dans le même cerveau que se formule la double réponse, celle du doigt qui dit oui, celle des lèvres qui disent non ; mais, selon nous, le oui et le non sont les aboutissans de deux séries de vibrations cérébrales opposées. Il y a chez l’hystérique, au sein même de la veille, une sorte de rêve qui persiste comme accompagnement à la conscience distincte, une sorte de pensée machinale et crépusculaire qui n’arrive que par suggestion à s’exprimer au dehors : la suggestion, ici, a lieu par l’excitation du membre insensible. La pensée claire dit alors le mot non, mais la sensation obscure, à l’aide du doigt, répond oui. C’est qu’un groupe d’impressions confuses s’est développé en son propre sens sous la masse des pensées distinctes. L’hystérique joue deux rôles à la fois et s’identifie avec ses deux rôles, comme un acteur qui jouerait un duo à lui seul, et qui serait tellement plein de son sujet qu’il se croirait successivement Pauline et Polyeucte, oubliant Polyeucte quand il est Pauline, Pauline quand il est Polyeucte. L’hystérie est une demi-folie, un rêve éveillé. Nous ne changeons pas de personnalité, comme de vêtement, parce qu’en rêvant nous nous crevons successivement ou même simultanément César et Napoléon, mais il y a dans notre conscience une fausse classification de nos souvenirs.

On connaît les magnifiques expériences de M. Pierre Janet. En plongeant, par de nouvelles passes, un sujet déjà endormi dans un somnambulisme nouveau et renforcé, il a développé chez un même individu des personnalités successives, telles que Léonie 1, Léonie 2, Léonie 3. Au fond, ces personnalités ne sont que des mémoires diversement systématisées, avec des tendances corrélatives de la volonté, également systématisées. En d’autres termes, ce sont différentes associations d’idées impulsives, d’idées-forces. Léonie 3 écrit une lettre tandis que Léonie 1 croit qu’elle coud. Lucie 3 vient réellement au cabinet du docteur, tandis que Lucie 1 se croit réellement à la maison. Ordinairement, chaque personnage a un nom particulier, auquel il répond. Adressez-vous à Lucienne, elle dira qu’elle voit tel objet; adressez-vous à Adrienne,