Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendent chacune à prendre la forme d’une personnalité particulière.


Pour la psychologie contemporaine, la conscience du moi n’est pas seulement un système d’idées et de souvenirs groupés autour d’une idée centrale; c’est aussi, par cela même, un système d’impulsions, une volonté; car il n’y a point de phénomène sensitif ou intellectuel sans phénomène moteur, point de sensation ou d’idée qui ne tende à se traduire en mouvemens. Ce grand principe est confirmé par les phénomènes de la suggestion, où l’on voit se produire une invasion de notre moi et de notre volonté par autrui. La suggestion peut se définir : une idée-force introduite par une personne dans l’esprit d’une autre, et qui développe ses effets physiques sans le consentement volontaire de l’individu, parfois même sans qu’il en ait conscience. Pour que l’idée ainsi introduite se réalise, il tant qu’à un moment donné elle soit dominante, exclusive, isolée de toute autre idée capable de la contre-balancer. Or, cet isolement suppose que la personne en état de suggestibilité oublie tout le reste pour ne se représenter que la chose suggérée. C’est donc encore une perturbation de la mémoire, une absorption de la conscience dans l’idée présente, avec oubli de tout le reste. L’idée présente, n’ayant alors plus rien pour la refréner, se réalise. On dit à un sujet hypnotisé qu’il ne peut pas se lever de la chaise où il est assis, et il lutte en vain pour le faire ; on fléchit le bras d’un jeune garçon et on lui offre une pièce d’or pour l’étendre : il fait effort jusqu’à en devenir rouge à la face, mais l’idée de la toute-puissance de l’hypnotiseur et de l’impossibilité d’une résistance subsiste, avec ses effets organiques, sous l’effort accompli pour résister, et elle empêche le succès de cet effort. Le tout se traduit par une « inhibition » des mouvemens, qui est la partie physique du phénomène, tandis que le conflit d’idées en est la partie psychique.

On sait que la suggestion peut être exécutée après le réveil « à échéance. » Cette exécution a lieu de deux manières. Tantôt le sujet accomplit l’acte suggéré en l’attribuant à sa volonté propre et en imaginant des explications qui le justifient. Tantôt il retombe dans l’état hypnotique au moment même d’accomplir la suggestion, qu’il exécute ainsi en une sorte de rêve. Le premier phénomène prouve combien nous sommes portés à nous faire illusion sur notre libre arbitre, lorsque nous ne voyons pas les raisons cachées de nos actes, les liens de notre pensée actuellement dominante et impulsive avec toutes les traces autrefois laissées dans notre cerveau. Pour comprendre ce fait, on peut le rapprocher de l’intéressante expérience sur les hystériques que nous avons citée plus haut. Demandez