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pas nécessairement un centre indivisible, un être simple, une monade. La continuité et la réciprocité d’action existent partout dans la nature : c’est la grande loi et le grand mystère; il n’y a point d’être isolé ni de véritable monade, pas plus qu’il n’y a de point indivisible, sinon dans les abstractions du géomètre. Une fois que la psychologie aura admis cette vérité, une fois qu’elle aura reconnu ce lien universel de continuité qui est le fond même du déterminisme, les individus ne pourront plus être conçus que comme des concentrations de la sensibilité universelle ou de la volonté universelle.


Si, pour la psychologie contemporaine, le moi est une idée au lieu d’être une substance, il n’en résulte nullement que notre moi se réduise à quelque chose d’inerte et de superflu. C’est là, sans doute, une illusion fréquente chez nos nouveaux psychologues et physiologistes; ce n’en est pas moins une illusion, aussi importante à signaler que celle des anciens psychologues sur la « substance » indivisible. L’erreur, ici, provient de ce qu’on oublie toujours l’influence et la force inhérente aux idées mêmes, qu’on fait flotter comme des ombres en dehors de la réalité. Si la conscience du moi est, en définitive, une idée centrale et dominante, cette idée ne peut pas ne pas se réaliser en une certaine mesure par cela même qu’elle se conçoit. De plus, cette réalisation constituant un avantage, un surcroît de force dans la lutte pour l’existence et pour le progrès, les êtres en qui la conscience du moi s’est le plus développée ont dû l’emporter, survivre et se propager par sélection naturelle. Notre unité intérieure, à mesure qu’elle se réalisait, tendait donc à s’idéaliser sous la forme du moi; en s’idéalisant sous cette forme, elle tendait à se réaliser davantage. Tel un artiste, à mesure qu’il donne la vie à une idée, voit l’idée même se déterminer, puis, l’idée devenant plus claire, il la réalise de mieux en mieux : l’œuvre et l’exemplaire réagissent l’un sur l’autre. Dans notre conscience, le résultat final est la sélection croissante de l’idée du moi parmi toutes les autres : cette idée centrale grandit sans cesse, s’éclaire; nous finissons par penser invinciblement notre être sous la forme de l’unité. L’idée du moi a donc sa vérité relative. De plus, elle est pour nous pratiquement nécessaire : elle est le seul moyen de ne pas être submergés par les vagues désordonnées des impressions qui, du dehors, comme un océan tumultueux, nous enveloppent et nous engloutissent.

De même pour l’idée d’identité. L’être qui se prolongera le mieux par la représentation dans le passé et dans l’avenir sera