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civiles, — reconnues aujourd’hui par la jurisprudence comme des personnes morales, — Tantôt en établissant une simple indivision entre les membres qui la composent ; tantôt même en se bornant à une simple existence de fait qui entraîne, quoi qu’on fasse, une certaine existence de droit. Nous n’en sommes plus au temps où on soutenait ingénument que le voleur d’une congrégation non autorisée ne commettait aucun délit, parce que la congrégation n’existant pas n’avait pas pu être volée. Le même cas, ou un analogue, s’est représenté à propos des Pères du Saint-Sacrement, pour une question de mur mitoyen. Il s’était trouvé des juges pour leur refuser la justice, sous le prétexte que leur prétendue propriété commune était en réalité celle d’une association non reconnue. L’arrêt a été cassé, et il devait l’être. Plus récemment, une société de courses, composée de plusieurs milliers de personnes, avait à répondre d’un accident survenu par la faute d’un de ses agens. Elle soutenait qu’elle n’avait pas d’existence légale et que les victimes de l’accident devaient s’adresser à chacun des deux ou trois mille associés, chacun pour sa part. Sa prétention a été repoussée, et la cour de cassation a décidé que la société avait pu être traduite en justice et condamnée en la personne de ses directeurs. Tant il est vrai que le bon sens est plus fort que tous les textes ! Le fisc lui-même, malgré son âpreté traditionnelle, n’a pu ni osé exercer encore toutes ses rigueurs ; il attend, hésite et distingue.

Comme toutes les lois qui prétendent restreindre une liberté essentielle, la loi française sur les associations est restée, en bien des cas, lettre morte. Mais elle est toujours, à l’occasion, un des instrumens de vexation les plus perfectionnés qui existent, et l’apparente inertie de l’administration a eu plus d’une fois des réveils inattendus. Dans l’ensemble, la législation apporte au développement des associations des entraves qui ne les empêchent pas complètement, mais qui en compriment et en arrêtent les progrès.


II.

Comment s’explique cette législation ? Il faut, bien entendu, faire la part des tendances ou des passions du moment ; mais ce n’est que le côté accessoire, éphémère, de la question. En réalité, la défiance dont les associations sont l’objet a une cause plus durable et plus profonde. Ce que la loi poursuit, ce n’est pas telle association particulière : c’est l’association en général et en principe. Et le législateur a obéi en cela à une tradition très ancienne et à un sentiment très répandu, tradition et sentiment intimement liés à la conception même que nous sommes habitués à nous faire du droit.