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code civil, c’est-à-dire le droit de jouir et de disposer d’une chose de la façon la plus absolue. Ainsi c’est encore une sorte de souveraineté illimitée qui appartient à chaque individu, dans sa sphère, comme à l’État sur les individus qui le composent. Le droit est absolu et n’admet, par suite, ni contrôle, ni condition, ni ingérence d’autrui sous aucune forme. Par une conséquence nécessaire, il est individuel, car là où il y a plus d’une volonté, aucune n’est souveraine. Droit absolu, droit individuel : voilà le type du code civil. Tout le système du droit repose sur cette base. Non-seulement ce droit ne connaît aucun groupement, aucune organisation, aucune hiérarchie, mais il y répugne. Les individus n’ont point d’obligations réciproques qui les rattachent les uns aux autres, ni rien qui ressemble à une solidarité. S’ils contractent et s’obligent les uns envers les autres, c’est pour établir leurs relations d’affaires; s’ils forment des sociétés, c’est pour réaliser et partager des bénéfices. L’association n’a pas de place dans un pareil système : c’est à peine si les sociétés de commerce y ont trouvé la leur. La conception du droit individuel s’impose à ce point que, pour donner la vie aux sociétés, aux établissemens publics ou privés, on n’a trouvé d’autre expédient que de les constituer à l’état de personne morale, c’est-à-dire de personnalité fictive, agissant et se comportant comme un individu, et exerçant les mêmes droits dans les mêmes conditions d’indépendance et de souveraineté. Cette conception du droit privé est un dogme, au même titre que celle du droit public : c’est elle qui contribue, dans la plus large mesure, à empêcher le développement des associations. « Ce que vous voulez reconnaître, » disait M. Tolain en 1883, dans une péroraison couverte d’applaudissemens, en combattant le projet de loi de M. Waldeck-Rousseau sur la liberté d’association, qu’il a fait échouer, « ce sont les principes de la révolution française, dont la base est la liberté individuelle se développant complètement et affranchissant l’individu. » Ce droit individuel, c’est, à vrai dire, ce qu’on appelle couramment le droit commun, à ce point que, pour bien des gens, soumettre les associations au droit commun, c’est simplement les supprimer.

En invoquant, à ce propos, les principes de la révolution française, M. Tolain ne se trompait pas complètement. Il est incontestable que la révolution française n’a rien fait pour la liberté d’association, qu’elle l’a même poursuivie de ses défiances et de ses prohibitions. Mais, en cela, elle était parfaitement d’accord avec l’ancien régime. Robespierre, sur ce point, pensait comme Richelieu. Il faut même remonter beaucoup plus haut: en réalité, la conception prétendue moderne du droit public, comme celle du droit privé, est romaine, et les conclusions qu’on en tire, le droit