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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/831

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l’humanité est aujourd’hui privée; elle les unit, à l’intérieur et entre eux, en définissant et en précisant ce que chacun doit à tous, et ce que tous doivent à chacun, en subordonnant leurs droits à leurs obligations. Par les formes si variées qu’elle sait donner à la propriété collective, elle peut faire participer tous les associés à la jouissance de biens communs, et imposer à la propriété individuelle des conditions qui en atténuent la rigueur et en justifient le principe. En développant l’esprit de corps, et mieux encore, la vie corporative, elle relie les hommes par la plus puissante des attaches, le sentiment d’appartenir au même groupe, et d’être les membres de la même famille. Seule, elle peut ôter au droit individuel son caractère absolu et souverain, et faire passer dans la réalité et dans la sphère du droit positif des obligations qui, sans elle, ne sortiraient pas du domaine de la morale. Enfin, grâce à la force inhérente à tout groupement et à toute organisation, elle peut, dans une large mesure, suppléer l’Etat et lui venir en aide, pour tout ce qui n’est pas de ses attributions essentielles, contribuer à la garantie des droits privés, et ôter tout prétexte à la souveraineté illimitée.

C’est ensuite la liberté, c’est-à-dire le droit de s’unir à qui l’on veut, et comme l’on veut, entre gens qui pensent de même, et se tiennent, d’avance, par leurs idées et leurs sentimens. La liberté, c’est la diversité; et les formes que l’association peut revêtir sont d’une variété incalculable. En imposer une est la plus injustifiée des violences : et c’est précisément ce qui s’oppose et s’opposera toujours à l’intervention de l’État; mais interdire l’association libre est un autre arbitraire. C’est un droit essentiel de n’être pas contraint de s’associer avec qui l’on ne veut pas; c’en est un autre, de pouvoir s’associer avec qui l’on veut. Il faut l’affirmer et le répéter, car il n’est pas de droit plus contesté et plus combattu, et chose remarquable, au nom même de la liberté. C’est un vieux sophisme. Il n’y a pas de liberté là où il y a contrainte. Ce n’est pas la liberté qui s’oppose au droit d’association, c’est une conception particulière et individualiste de la liberté. De quel droit prétend-on l’imposera ceux qui la croient fausse? Celui-là seul est libre qui peut faire de sa liberté l’usage qui lui convient.

Il va de soi, d’ailleurs, et cela répond d’avance à toutes les critiques, que la liberté implique nécessairement le droit de ne subir aucune contrainte de la part de l’association elle-même. Liberté d’entrer, liberté de sortir, d’autant plus complète et assurée que les obligations sociales sont plus rigoureuses : c’est là un principe essentiel, commandé à la fois par le respect du droit et l’intérêt des associations.