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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/832

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III.

La liberté d’association est la plus nécessaire des libertés. C’est la plus féconde, et le complément indispensable de toutes les autres. A quoi sert la liberté de conscience s’il n’est pas permis à ceux qui professent les mêmes opinions de se réunir pour propager leur doctrine et célébrer leur culte? A quoi bon la liberté d’enseignement si l’enseignement doit rester privé? La charité est libre, mais comment l’exercer seul et avec ses propres ressources? La liberté de réunion, si elle se réduit à des réunions accidentelles, est paralysée et sans valeur. La liberté personnelle elle-même n’est pas complète s’il est défendu d’habiter ensemble et de s’associer pour vivre. Il n’est pas jusqu’à la liberté de la presse qui ne soit insuffisante s’il n’est permis que de parler et défendu d’agir : et la première condition pour agir, c’est de se réunir et de se grouper : l’homme isolé ne peut rien.

Il faut ajouter que la liberté d’association est la garantie nécessaire de toutes les autres. Pour l’atteindre et la frapper, il faut, — on l’a vu plus haut, — poursuivre et violenter les personnes, violer le domicile, froisser les convictions et les croyances, attenter à la propriété. Il n’est presque pas un principe de droit public dont le maintien et la garantie ne soient liés au respect de cette liberté fondamentale.

N’eût-elle pas ces avantages incontestables, elle serait encore le premier des droits : car la liberté n’est pas faite pour vivre isolé, et si les hommes sont essentiellement sociables, l’usage le plus normal qu’ils puissent et doivent faire de la liberté n’est-il pas de s’associer? Puisque les doctrines et les systèmes sur l’organisation des sociétés sont prodigieusement divers, puisqu’il est tout à fait assuré qu’en ce point les hommes ne s’entendront jamais, et que l’uniformité est la plus ridicule et la plus dangereuse des chimères, pourquoi ne pas laisser ceux qui pensent de même se grouper et s’organiser comme ils l’entendent? Ceux qui ne veulent d’autre association que l’État se condamnent à l’oppression continuelle et systématique des minorités, c’est-à-dire à la plus criante des injustices, à celle même dont le développement est le plus à craindre dans un prochain avenir. Les ingénieux systèmes de représentation proportionnelle, imaginés pour y porter remède, ne sont que des palliatifs. Que la minorité soit plus ou moins largement représentée dans une assemblée, l’avantage est mince si elle reste la minorité et si elle est écrasée. Ce qui importe, c’est qu’elle ait le droit de se constituer et de s’organiser en se passant de la majorité qui l’opprime.