Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/883

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’accord pour inviter les autres puissances maritimes à y accéder dans le plus bref délai possible. »

Il semblait que l’opinion publique se fût détachée de cette question quand on apprit à Paris, en janvier 1842, la conclusion d’un nouveau traité. L’Angleterre venait de livrer une seconde fois la bataille qu’elle avait perdue au congrès de Vérone, et cette bataille était presque gagnée. Les États-Unis n’avaient pas fléchi, mais l’Europe cessait de résister. Les cinq grandes puissances se reconnaissaient un « droit de visite » réciproque, en prenant ce mot dans son acception la plus large, sur les navires de l’une ou de l’autre, afin d’empêcher le commerce des esclaves. Le consensus gentium allait donc s’établir, ou peu s’en faut; car la France elle-même, après avoir sollicité sous l’impulsion de la Grande-Bretagne l’adhésion de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse hésitantes, avait donné sa signature à Londres le 20 décembre 1841 : on n’attendait plus que la ratification du roi. Tout à coup la discussion de l’adresse, à la chambre des députés, réveilla des sentimens qu’on croyait assoupis. MM. Billault, Dupin, Thiers, Berryer, l’amiral Lalande dénoncèrent en termes enflammés l’acte du 20 décembre, rappelant les prétentions tyranniques de l’Angleterre à la souveraineté des mers, excitant le patriotisme français, opposant la conduite des États-Unis à celle de la France, et démontrant sans grande difficulté qu’on avait, par excès de condescendance, sacrifié soit l’indépendance de notre pavillon, soit les légitimes intérêts de notre commerce maritime. Presque seul, M. Guizot, ministre des affaires étrangères, tint tête aux assaillans. On était au lendemain des démêlés internationaux provoqués par les affaires de la Syrie et de l’Egypte ; l’Europe venait de régler sans notre participation, grâce à l’Angleterre, par la convention du 15 juillet 1840, la question d’Orient : quand même le gouvernement aurait eu raison sur tous les points, il est probable que l’opposition, soutenue à la fois par les préventions populaires et par l’opinion des classes dirigeantes, l’aurait emporté. Mais, au demeurant, le projet de traité contenait, on le comprendra bientôt, un certain nombre de concessions inutiles ou regrettables, et, si les discours des opposans contenaient beaucoup de phrases sonores bourrées de mots vides, il subsistait un certain nombre de critiques que la dialectique la plus serrée n’avait pu détruire. Tout le monde sait que la bataille tourna contre le ministère et que la ratification du roi fut indéfiniment ajournée.

On ne peut pas se figurer, à l’étranger, l’influence que les souvenirs de 1842 ont exercée sur les débats de 1891. Quel thème pour les hommes politiques animés d’un souffle oratoire! L’antique rivalité de la France et de l’Angleterre ; Selden, l’auteur du