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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/884

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mare clausum, établissant sur un monceau de documens les prétendus droits de son pays à la souveraineté de l’Océan et son livre devenant l’Évangile maritime de la Grande-Bretagne ; « la France qui avait la première écrit sur son pavillon : Liberté des mers et réclamé cette liberté pour tous, dans tous les temps, dans tous les lieux[1], » dépossédée de son rôle naturel; le drapeau tricolore abaissé; nos marins atteints jusques au fond du cœur! Comment n’être pas tenté de recommencer cette joute qui avait passionné le pays et dans laquelle M. Guizot lui-même avait à peu près mordu la poussière? La même question ne se posait-elle pas et fallait-il s’arrêter à des nuances plus ou moins saisissables ? Il était d’ailleurs vraisemblable que, le branle une fois donné, la chambre suivrait. Toute assemblée un peu nombreuse, de quelques lumières qu’on la supposât douée, était disposée à négliger de très bonne foi le côté technique du problème, c’est-à-dire la comparaison précise, exacte, rigoureuse de deux situations différentes et à se laisser fasciner par l’exemple donné cinquante ans plus tôt. Une chambre républicaine, nommée par le suffrage universel, se montrerait-elle d’ailleurs moins jalouse de l’honneur national et moins patriote qu’une chambre conservatrice et royaliste, issue du suffrage restreint? Il était facile de prévoir qu’on commettrait un anachronisme et nous l’avions prévu nous-même : on l’a commis.

C’est ce que nous nous proposons de démontrer. Interrompant à dessein notre histoire sommaire du droit de visite, nous allons chercher à déterminer, pièces en main, quelles ont été sur ce terrain, à Bruxelles, les concessions faites à la France, les concessions faites par la France.


III.

Personne ne conteste que la France n’ait pas seulement travaillé pour elle en défendant la liberté des mers. Elle l’a défendue pour tous, comme disait en 1842 l’amiral Lalande et, dans cet ordre d’idées, chaque progrès du droit maritime international est une conquête de la politique française. A Vérone et depuis Vérone, l’Angleterre avait tenté d’introduire une règle nouvelle dans la loi des nations, en soumettant à la visite en temps de paix, de plein droit, abstraction faite de toute convention, les navires soupçonnés de faire la traite des nègres. A vrai dire, plusieurs de ses hommes d’État, dans la seconde moitié du XIXe siècle, comme lord Lyndhurst en 1858 et lord Malmesburv en 1859, avaient émis des doutes sur la légitimité d’une telle prétention ; mais le gouvernement

  1. Discours de l’amiral Lalande en 1842.