Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

britannique n’y avait pas renoncé d’une manière officielle et positive. Or, voici ce que la conférence de Bruxelles a décidé. D’abord elle donne aux mots « droit de visite, » conformément à l’interprétation commune, l’acception la plus étendue et distingue la visite de la vérification des papiers. Le droit de visite réciproque en temps de paix (le cas de piraterie excepté), ne dérivant pas de la loi commune, ne pourra s’exercer que dans les limites déterminées par chaque loi conventionnelle. « L’enquête sur le chargement du bâtiment ou la visite ne peut avoir lieu, dit l’article 45 de l’Acte général, qu’à l’égard des bâtimens naviguant sous le pavillon d’une des puissances qui ont conclu ou viendraient à conclure des conventions particulières et conformément aux prescriptions de ces conventions. » La conséquence est claire : chacune des puissances signataires, à partir du jour où le traité qui l’unit à quelque autre puissance expire ou peut être dénoncé, reprend, quant à l’exercice du droit de visite proprement dit, sa liberté d’action. C’est ce que la France avait toujours demandé. Le droit même de vérifier les papiers des navires soupçonnés de faire la traite ne dérive pas de la loi commune, comme l’Angleterre l’avait si longtemps soutenu; par conséquent, il ne s’applique qu’aux puissances signataires de l’Acte général, conformément aux clauses de cet acte, c’est-à-dire avec toutes les restrictions qu’il accumule et toutes les distinctions qu’il contient. Encore une fois, c’est la théorie française qui l’emporte, et l’on va comprendre sur-le-champ qu’il ne s’agit pas là seulement d’un succès purement théorique.

D’abord les dix-sept puissances représentées conviennent décidément de ne pas assimiler la traite à la piraterie. L’Angleterre avait tenté, pendant plus d’un demi-siècle, d’obtenir cette assimilation. L’Autriche, la Prusse et la Russie s’étaient formellement engagées par le traité du 20 décembre 1841, non-seulement à prohiber tout commerce d’esclaves, mais « à déclarer piraterie un pareil trafic. » A la conférence de Berlin, cette doctrine n’était pas encore universellement abandonnée, puisqu’elle avait obtenu, le 10 novembre 1884, l’appui d’un plénipotentiaire italien. Notre pays, on le sait, l’avait toujours répudiée, notamment dans les instructions annexées à la convention anglo-française du 29 mai 1845.

Ainsi donc la conférence ne permettait pas de substituer un délit du droit des gens à un délit du droit national. Elle préparait par là même une autre solution qui contrariait les plans de l’Angleterre. Le projet anglais contenait la proposition suivante : « Des tribunaux mixtes seront établis à des endroits convenables dans les limites de la zone. Ces tribunaux auront le droit de statuer, sans appel, sur les causes qui leur seront soumises en vertu des