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dans une zone d’environ vingt lieues de largeur à la même distance des côtes de Cuba, à la même distance des côtes de Porto-Rico, à la même distance des côtes du Brésil. Or l’Angleterre avait, en décembre 1841, jugé cette zone encore trop restreinte, et ce qu’on reprocha peut-être le plus vivement à M. Guizot en 1842, ce fut d’avoir accepté sur ce point les propositions du cabinet britannique. «Les Anglais, vous a-t-on dit, demandaient l’Océan entier : je suis bien aise qu’ils l’aient demandé, s’écriait M. Dupin, car ils se sont révélés par là... Eh bien! on n’a pas accordé à l’Angleterre l’Océan, mais on lui a concédé l’Atlantique; on a étendu les zones précisément aux endroits où sont nos possessions les plus importantes... » M. Thiers ajoutait: « Je demande pourquoi vous avez étendu les limites des zones, entendez bien mon expression ! sur tout l’Océan, à partir des îles Madère jusqu’au cap Horn et au cap de Bonne-Espérance, depuis le cap de Bonne-Espérance jusque dans la mer des Indes; pourquoi à des zones limitées vous avez substitué les deux grandes mers du commerce, l’Océan compris entre l’Afrique et l’Amérique et la mer des Indes tout entière. » C’était, nous le reconnaissons, un échec pour la politique française que l’extension de la zone « contaminée. » Mais rien ne démontre mieux la gravité de l’erreur commise par ceux qui viennent de confondre 1890 et 1841. Par quel coup du sort sommes-nous battus quand la zone est étendue et le serions-nous encore quand elle est restreinte? La chose est incompréhensible. Oui, nous étions vaincus quand le droit de visite s’était déployé; c’est précisément pourquoi nous l’emportons quand il recule.

Cependant le projet anglais conférait expressément aux puissances signataires « le droit de surveillance soit sur la haute mer, soit dans les eaux territoriales » de tout bâtiment à voiles, quel qu’en fût le pavillon. Le gouvernement britannique nous a fait, à ce propos, deux concessions importantes. D’abord la France obtint, avec le concours du Portugal, l’addition d’une clause expresse d’après laquelle les droits conférés à chacune des puissances signataires laissaient subsister l’état de choses actuel quant à la juridiction de chacune d’elles dans ses eaux territoriales. C’eût été la plus grave usurpation, que cet exercice d’un droit de surveillance et de contrôle par un peuple quelconque dans la mer littorale d’un autre peuple. Il ne faut pas sacrifier à la légère cette règle du droit maritime universel qui fait rentrer dans le territoire d’un État la partie de la mer sur laquelle il peut, de la côte, faire respecter son pouvoir, et l’on eût sans doute ouvert la porte à de nombreux abus en laissant pratiquer cette brèche dans la loi des nations. La France a pu faire maintenir un grand principe dans l’intérêt général et, disons-le, dans l’intérêt français. Il nous était particulièrement utile, on le comprendra