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navires de commerce qui passent le canal de Suez pour se rendre dans l’Océan-Indien sont exclusivement des vapeurs. Voilà donc toute notre navigation à vapeur, c’est-à-dire la plupart de nos long-courriers, hors de cause et presque tous ceux-ci soustraits, par conséquent, aux mesures de surveillance qu’organise l’Acte général. Mais une seconde substitution s’est accomplie ; on a remplacé, pour les mêmes expéditions, les petits navires par les bâtimens de grande dimension. Ce qu’il faut épargner dans la navigation au long cours, c’est le temps, ce sont les frais généraux : cette double économie permet aux grands navires d’accepter un très mince bénéfice, sur une grande masse d’objets transportés. Les petits voiliers, ne pouvant se contenter du même bénéfice, sont ruinés par la concurrence et se confinent de plus en plus, par la force des choses, dans le petit ou le grand cabotage. Toutefois, je me hâte de le reconnaître, tandis que nos ports n’expédient que des grands bâtimens vers l’Inde ou vers la Chine, six ou sept maisons de Nantes font encore le commerce de l’île de la Réunion, par le cap de Bonne-Espérance, avec des voiliers qui jaugent de 300 à 400 tonneaux; une maison de Marseille fait de même le commerce du Mozambique avec trois ou quatre voiliers qui ne jaugent pas 500 tonneaux. Mais ces exceptions tendent à disparaître, et l’importante maison Grosos, du Havre, a prouvé par un exemple récent qu’on peut faire avantageusement le commerce de la Réunion, de l’île Maurice, de Madagascar, avec de grands navires : là, comme ailleurs, la transformation s’opère. D’ailleurs, le commandant d’aucun croiseur, s’il n’est atteint de démence, n’arrêtera dans la zone « contaminée » les voiliers de ces maisons anciennes, probes, parfaitement connues dans ces parages, à l’abri du soupçon le plus imperceptible, étant bien convaincu qu’il serait écrasé sous des dommages-intérêts, pour cet acte d’insigne mauvaise foi, par la juridiction française[1]. Pas un des armateurs que j’ai questionnés n’a le moindre doute à ce sujet. Ce sont les bâtimens indigènes, et ceux-là seuls, qu’on s’est proposé d’atteindre. Lord Vivian l’a dit formellement au nom du gouvernement britannique, et cette intention des signataires éclate à chaque page des rapports faits à la conférence par la commission maritime. Celle-ci se plaît à répéter que les bâtimens engagés dans la traite des noirs sont des dhows ou boutres indigènes.

Une œuvre diplomatique à laquelle on convie dix-sept puissances divisées d’intérêts est, en général, une œuvre de transaction

  1. Plusieurs des opposans ont eux-mêmes reconnu qu’on ne pouvait pas soupçonner sérieusement les navires français de faire la traite. (Voir l’Officiel du 25 juin 1891, p. 1417, col. 3.)